Ibrahim Kaypakkaya

La question nationale en Turquie



1.les thèses des révisionnistes du SAFAK dans la question nationale

" La grande bourgeoisie, alliée aux maîtres féodaux, mène contre le peuple kurde une politique d’oppression nationale et d’assimilation " (projet de programme, paragraphe 10).

" Le peuple kurde, qui vit dans notre pays avec une population de 6 millions, a levé le drapeau de la lutte contre la forte oppression nationale et la politique d’assimilation qui est mené par les gouvernements de la bourgeoisie et des maîtres féodaux.

Le peuple kurde se défend de manière héroïque contre la torture et la terreur les plus dures avec lesquels les dominants américanisés tentent d’intimider le peuple kurde. La lutte du peuple kurde pour les droits démocratiques, l’égalité des droits des nations et l’autodétermination se renforce vite.

Tous les ouvriers et paysans de Turquie soutiennent cette lutte. La politique raciale des impérialistes, qui doit servir à amener les uns contre les autres les peuples de Turquie et à les opprimer, est au bord de s’écrouler et l’unité des peuples sur la voie de la révolution se renforce " (projet de programme, paragraphe 25).

" Notre mouvement annonce qu’il reconnaît le droit à l’autodétermination du peuple kurde et qu’il lui reconnaît, s’il le veut, le droit à la formation d’un Etat autonome. Notre mouvement... travaille à ce que l’autodétermination du peuple kurde soit utilisée au profit des ouvriers et paysans kurdes.

Notre mouvement mène une politique qui est dirigée à unifier les deux peuples frères de Turquie dans une république populaire démocratique avec les mêmes droits pour les deux.

Notre mouvement lutte contre les classes dominantes réactionnaires de toutes nationalités qui mènent une politique ennemie contre l’unité et la fraternité révolutionnaire des peuples kurde et turc, et lutte contre leur politique de division. (projet de programme, paragraphe 52).

" Le mouvement marxiste-léniniste est le représentant le plus décidé du droit à l’autodétermination du peuple kurde et luttera en même temps pour que le droit à l’autodétermination du peuple kurde soit dirigé au profit des ouvriers et paysans kurdes.

Le mouvement marxiste-léniniste mènera en même temps une politique dirigée à ce que les deux peuples frères de Turquie soient unis dans une république populaire démocratique avec les mêmes droits pour les deux " (La situation politique en Turquie et le monde après le 12 mars, p.74).

" Le droit à l’autodétermination du peuple kurde sera défendu sans concession " (ibidem p.72).

" Le droit à l’autodétermination (plus tard la libération) du peuple kurde ne peut pas être séparé de la lutte pour une révolution agraire qui s’appuie sur les paysans pauvres, et de la lutte contre l’impérialisme " (ibidem p.73).

" La politique d’inimitié nationale et la politique d’assimilation menées contre le peuple kurde... " A propos de la question de la formation d’un pouvoir politique rouge).

" La lutte d’oppression nationale exercée contre le peuple kurde... " (ibidem).

" Nous devons fermement continuer à défendre le droit à l’autodétermination du peuple kurde " (ibidem).

Ce sont à peu près les thèses des révisionnistes du SAFAK quant à la question nationale dans l’époque nouvelle, c’est-à-dire depuis l’état d’urgence du 26 avril 1971.

A propos de la question nationale nous ne voulons pas nous occuper de la ligne avant l’état d’urgence, parce que chaque personne qui était en relation avec le mouvement à ce moment-là sait qu’était diffusé un nationalisme turc massif, un nationalisme de type agressif d’une nation agressive hérité de Mihri Belli.

Mais désormais de nouveaux types de nationalisme sont développés, qui ont été pensé de manière encore plus incisifs et portant à confusion. Nous devons mener aujourd’hui la lutte contre eux et les détruire.

Nous nous occupons des thèses mentionnées en eux:

2.Contre qui est exercée l’oppression nationale?

D’après les révisionnistes du SAFAK l’oppression nationale est menée contre le peuple kurde. Cela montre que la compréhension de ce qu’est l’oppression nationale n’a pas été saisie. L’oppression nationale est exercée par les classes dominantes des nations dominantes et exploiteuses à l’encontre des nations opprimées dépendantes.

Et l’oppression nationale en Turquie est l’oppression non pas seulement du peuple kurde, mais de l’ensemble de la nation kurde, et pas seulement de la nation kurde, mais de toutes les minorités nationales par les classes dominantes de la nation turque dominante.

" Peuple " et " nation " ne sont pas une seule et même notion! La notion de " peuple " contient aujourd’hui en général la classe ouvrière, les paysans pauvres et moyens, le semi-prolétariat et la petite-bourgeoisie citadine.

Dans les pays arriérés l’aile révolutionnaire de la bourgeoisie nationale, qui est au côté de la révolution populaire démocratique contre l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme compradore, est également à compter dans les classes du peuple. Mais la notion de "nation " contient toutes les classes et couches sociales, y compris les classes dominantes.

" Une nation est une communauté stable d’êtres humains formée historiquement, formée sur le terrain de la communauté de la langue, du territoire, de la vie économique et du caractère psychique se révélant dans la communauté de culture ".

La notion de " nation " comprend toutes les classes et couches sociales d’une communauté de gens qui parlent ensemble la même langue, vivent sur le même territoire, participent à une même vie économique et montrent un même caractère psychique.

Ainsi comme il y a des classes et couches sociales qui ont des avantages à la révolution et sont du côté de la révolution, il y a des classes et couches sociales qui sont les ennemis de la révolution, et d’autres qui balancent entre révolution et contre-révolution.

Le peuple n’est pas une communauté formée à une époque historique déterminée et ayant disparue plus tard, mais une communauté existante à chaque époque historique. Mais la nation s’est développée avec le capitalisme à l’époque du capitalisme grandissant et disparaîtra avec un stade élevé de développement du socialisme.

La constitution du peuple se modifie à chaque phase de la révolution. Le contenu de la notion de " nation " ne dépend [lui] pas des étapes de la révolution.

La notion de " peuple kurde " comprend aujourd’hui les ouvriers kurdes, les paysans kurdes pauvres et moyens, le semi-prolétariat citadin kurde, la petite-bourgeoisie citadine kurde, et l’aile révolutionnaire de la bourgeoisie national kurde, qui participera à la révolution populaire et démocratique.

La notion de " nation kurde " au contraire comprend également, en dehors de ces classes et couches sociales, les autres parties de la bourgeoisie kurde et les grands propriétaires terriens kurdes.

Certains " messsieurs-je-sais-tout " affirmant que l’on ne peut pas compter les grands propriétaires terriens comme étant de la nation kurde. Ils veulent même faire croire que l’on ne peut même pas du tout parler d’une nation kurde, parce que ces grands propriétaires terriens existent sur le territoire kurde. C’est un exemple terrible de démagogie et de sophisme.

Est-ce que les grands propriétaires terriens ne parlent pas la même langue? Ne vivent-ils pas sur le même territoire? Ne se retrouvent-ils pas dans une communauté de vie économique et de caractère psychologique?

Et de plus les nations ne se développement pas au stade final du développement d’un capitalisme, mais dans la phase de formation du capitalisme.

Lorsque le capitalisme apparaît dans un territoire dans une certaine proportion et unifie là-bas le marché dans une certaine proportion, les sociétés qui possèdent les autres présuppositions pour devenir une nation formeront une nation.

Si cela n’était pas ainsi nous ne pourrions pas qualifier de nation les communautés stables existantes dans tous les pays arriérés où le capitalisme s’est développé de manière restreinte. Il y avait en Chine jusqu’aux années 40 de notre siècle encore un éparpillement féodal fort.

Si nous partions de ce point de vue nous ne pourrions pas reconnaître les nations existant auparavant comme nation. Jusqu’à la révolution de 1917 il y avait encore dans les lointains territoires paysans de Russie un féodalisme fort, c’est pourquoi nous ne devrions pas encore accepter l’existence de nations en Russie.

Pendant la guerre de libération, par exemple en Turquie, régnait un féodalisme encore plus fort qu’aujourd’hui; pour cette raison nous devrions considérer qu’il n’y avait alors en Turquie pas de nations. Aujourd’hui dans le monde le féodalisme domine toujours dans une certaine proportion dans les pays reculés et arriérés, en Asie, en Afrique, en Amérique latine.

De ce point de vue on devrait refuser l’existence de nations dans ces pays. Il est désormais clair qu’une thèse affirmant que " les Kurdes ne forment pas une nation " n’est en tout et pour tout qu’un discours creux. C’est éloigné de la réalité et dommageable pour la pratique. Parce qu’une telle thèse n’aide que les classes oppresseuses et exploiteuses de la nation dominante.

Elles trouvent ainsi un justificatif pour leur oppression nationale, leur discrimination et leurs actes de violence vis-à-vis des nations opprimées et dépendantes comme pour l’injustice exercée au profit de leurs propres privilèges et avantages. Alors la lutte du prolétariat pour l’égalité des droits des nations, l’abolition de l’oppression nationale, les privilèges, etc., n’aurait aucun succès.

Le droit à l’autodétermination des peuples resterait une coquille vide. La colonisation des nations arriérées, l’interventionnisme dans les affaires intérieures d’autres nations et la non-reconnaissance du droit à l’autodétermination par les impérialismes, tout cela serait légitimé avec comme prétexte: " ils ne forment pas de nation ".

Exactement de la même manière sont légitimés tous les actes de violence et l’oppression de la nation dominante à l’égard des nations opprimés dans les Etats comprenant plusieurs nations.

Ceux qui prétendent que lorsqu’il y a encore de grands propriétaires terriens il n’est pas possible de parler de nation apportent de l’eau au moulin des impérialistes et des nations dominantes.

Ceux qui affirment que les Kurdes en Turquie ne représentent pas une nation apportent de l’eau au moulin des classes dominantes turques. Il est connu que les classes dominantes turques affirment que les Kurdes ne forment pas de nation.

Par la défense des privilèges des classes dominantes ces gens sabotent la solidarité, l’unité et la confiance des masses populaires des différentes nations.

Une société qui vit dans les conditions d’un féodalisme pas encore dissous ne peut naturellement pas encore être considérée comme une nation. Mais où existe-t-il dans le monde un tel féodalisme?

Le capitalisme a déjà pénétré à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle dans la vie de l’Europe de l’Est, de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine opprimées, et en est arrivé là-bas par l’unification du marché national dans une dimension particulière à une communauté de vie économique, et a par là contribué à la formation des nations.

Aujourd’hui encore il existe dans des territoires très renfermés des communautés en tribus, qui ne forment pas encore de nation. Mais c’est une petite minorité d’un tel type qu’il n’est pas nécessaire de perdre beaucoup de mots quant à ce sujet.

Résumons: que les Kurdes forment une nation en Turquie est une réalité qui est clair pour chaque personne qui n’est pas derrière le nationalisme turc agressif, sans qu’il soit nécessaire de continuer à discuter de cela.

Les ouvriers, paysans pauvres et moyens kurdes, le semi-prolétariat et le petite-bourgeoisie citadine kurdes, l’ensemble de la bourgeoisie kurde et les grands propriétaires terriens forment la nation kurde.

C’est non seulement le peuple kurde mais aussi, à part une poignée de grands maîtres féodaux et quelques bourgeois qui ont fusionné avec les classes dominantes turques, l’ensemble de la nation kurde qui subit l’oppression nationale. Les ouvriers et paysans kurdes, la petite-bourgeoisie citadine et les petits propriétaires terriens souffrent de l’oppression nationale.

L’objectif principal de l’oppression nationale est même la bourgeoisie des nations opprimées et dépendantes. Parce que les capitalistes et grands propriétaires terriens des nations dominantes veulent devenir sans concurrence les maîtres de toutes les richesses du pays et de son marché. Ils ne veulent pas remettre le privilège de pouvoir former un Etat.

Dans la mesure où ils interdisent toutes les langues, ils veulent mettre en place l’unité de la langue nécessaire pour le marché. La bourgeoisie et les grands propriétaires terriens de la nation opprimée se posent comme obstacle important par rapport à ces buts.

Parce qu’eux aussi aspirent à devenir les maîtres du marché et à contrôler celui-ci, à exploiter eux-mêmes les richesses en ressources naturelles et la force de travail du peuple.

Ce sont les facteurs économiques les plus importants qui amènent face à face la bourgeoisie et les grands propriétaires terriens des deux nations, et c’est pour cela qu’existent les dures mesures d’oppression des classes dominantes de la nation dominante contre la nation opprimée. Ainsi s’explique le fait que la bourgeoisie et les maîtres féodaux de la nation opprimée soient touchées par l’oppression nationale.

[Extrait de: "la question nationale en Turquie"]