Mao Zedong

Interventions aux causeries sur la littérature et l'art


Allocution d'ouverture
2 mai 1942

Camarades ! Vous avez été invités aujourd'hui à cette réunion pour un échange de vues sur la liaison entre le travail littéraire et artistique et le travail révolutionnaire en général.

Notre but est d'assurer à la littérature et à l'art révolutionnaires les moyens de se développer sainement et d'apporter une contribution plus féconde aux autres activités révolutionnaires, afin que l'ennemi de notre nation puisse être vaincu et la tâche de la libération nationale accomplie.

Nous luttons pour la libération du peuple chinois sur maints fronts différents ; deux d'entre eux sont le front de la plume et le front de l'épée, c'est-à-dire le front culturel et le front militaire. Pour vaincre l'ennemi, nous devons nous appuyer en premier lieu sur l'armée qui a le fusil à la main.

Mais à elle seule cette armée ne saurait suffire, il nous faut aussi une armée de la culture, indispensable pour unir nos rangs et vaincre l'ennemi. Depuis le Mouvement du 4 Mai 1919, une telle armée de la culture s'est constituée en Chine, elle a apporté une aide à la révolution chinoise en réduisant progressivement la sphère d'influence et en minant les forces de la culture féodale chinoise et de la culture compradore, qui est au service de l'agression impérialiste.

Pour faire front contre la nouvelle culture, la réaction chinoise n'a plus à présent d'autre ressource que de " répondre à la qualité par la quantité " ; en d'autres termes, les réactionnaires, qui ont de l'argent en abondance mais ne font rien de valable, s'évertuent à produire le plus possible.

Depuis le Mouvement du 4 Mai, la littérature et l'art forment un secteur important du front culturel et l'on y a fait du bon travail.

Le mouvement littéraire et artistique révolutionnaire a connu un grand développement pendant la Guerre civile de Dix Ans. Il allait dans le même sens général que la guerre révolutionnaire de l'époque, mais ces deux armées sœurs manquaient de coordination dans leur travail pratique, car la réaction avait réussi à les isoler l'une de l'autre. Depuis le début de la Guerre de Résistance contre le Japon, les écrivains et artistes révolutionnaires viennent en nombre croissant à Yenan et dans les autres bases antijaponaises. C'est très bien.

Mais le fait qu'ils soient venus dans ces bases ne signifie pas encore qu'ils aient réussi à se fondre complètement avec les masses populaires. Or, une telle fusion est nécessaire si nous voulons avancer dans notre travail révolutionnaire.

Le but de notre réunion d'aujourd'hui est précisément de faire en sorte que la littérature et l'art s'intègrent parfaitement dans le mécanisme général de la révolution, qu'ils deviennent une arme puissante pour unir et éduquer le peuple, pour frapper et anéantir l'ennemi, et qu'ils aident le peuple à lutter contre l'ennemi d'un même cœur et d'une même volonté.

Quels sont les problèmes à résoudre pour atteindre ce but ? Je pense que ce sont les suivants : la position de classe de ceux qui se consacrent à la littérature et à l'art, leur attitude, leur public, leur travail et les études auxquelles ils doivent se livrer.

La position de classe. Nous nous tenons sur les positions du prolétariat et des masses populaires. Pour les membres du Parti communiste, cela implique la nécessité de se tenir sur la position du Parti, de se conformer à l'esprit de parti et à la politique du Parti. Parmi nos travailleurs littéraires et artistiques, y en a-t-il qui n'ont pas encore une idée juste ou une idée nette sur ce point ? Je pense que oui ; nombre de nos camarades se sont souvent écartés de la position juste.

L'attitude. De notre position découle l'attitude déterminée que nous prenons à l'égard de faits déterminés. Par exemple : faut-il louer ou dénoncer ? C'est là une question d'attitude. Laquelle de ces deux attitudes devons-nous adopter ? Je répondrai : toutes les deux ; il s'agit de voir à qui nous avons affaire. Il y a trois catégories de personnes : nos ennemis, nos alliés du front uni, et les nôtres, j'entends les masses populaires et leur avant-garde.

Trois attitudes différentes doivent être adoptées à l'égard de ces trois catégories de personnes.

En ce qui concerne nos ennemis, les impérialistes japonais et tous les ennemis du peuple, la tâche des écrivains et des artistes révolutionnaires consiste à dévoiler leur cruauté, leurs mensonges et à montrer qu'ils sont voués à la défaite, afin d'encourager l'armée et le peuple qui résistent au Japon à lutter résolument, d'un même cœur et d'une même volonté pour abattre l'ennemi. A l'égard de nos différents alliés du front uni, notre attitude doit être celle de l'union comme de la critique ; et comme les unions sont diverses, diverses seront les critiques.

Nous approuvons la lutte de nos alliés pour résister au Japon et les félicitons quand ils remportent des succès, mais nous devons les critiquer s'ils ne se montrent pas assez actifs dans la Guerre de Résistance. Nous devons combattre fermement quiconque s'oppose au Parti communiste et au peuple et s'engage ainsi de plus en plus dans la voie de la réaction. En ce qui concerne les masses populaires, leur travail et leur combat, leur armée et leur Parti, nous devons, bien entendu, les glorifier.

Le peuple, lui aussi, a ses défauts. Dans les rangs du prolétariat, beaucoup de gens ont conservé l'idéologie petite-bourgeoise, et chez les paysans comme dans la petite bourgeoisie urbaine se rencontrent des idées rétrogrades ; c'est un fardeau qui les gêne dans leur lutte. Nous devons, en y mettant le temps et avec patience, les éduquer, les aider à se débarrasser de ce fardeau et à combattre leurs insuffisances et leurs erreurs, afin qu'ils puissent progresser à grands pas.

Au cours de la lutte, ils se sont réformés ou sont en train de le faire, et notre littérature et notre art doivent décrire le processus de cette rééducation. A moins qu'ils ne persistent dans leurs erreurs, nous ne devons pas, en portant sur les gens un jugement unilatéral, commettre la faute de les ridiculiser ou pire encore, de nous montrer hostiles à leur égard.

Nos productions artistiques et littéraires doivent les aider à s'unir, à progresser et à poursuivre leur combat dans l'unanimité, à se débarrasser de ce qu'ils peuvent avoir d'arriéré et à développer ce qu'ils ont de révolutionnaire ; elles ne doivent en aucun cas avoir l'effet inverse.

Le public, ou la question de savoir à qui sont destinées les œuvres littéraires et artistiques. Dans la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia et les bases antijaponaises de la Chine du Nord et de la Chine centrale, ce problème n'est pas le même que dans les territoires contrôlés par le Kuomin-tang et se posait encore moins dans le Changhaï d'avant la Guerre de Résistance.

A Changhaï, c'était surtout une partie des étudiants, des employés de bureau et de commerce qui s'intéressaient aux œuvres littéraires et artisti ques révolutionnaires. Dans les régions contrôlées par le Kuomintang, le cercle s'est quelque peu élargi depuis la Guerre de Résistance, mais le public est resté essentiellement le même, car le gouvernement tenait les ouvriers, les paysans et les soldats à l'écart de la littérature et de l'art révolutionnaires.

Il en est tout autrement dans nos bases d'appui.

Les œuvres littéraires et artistiques ont ici pour public les ouvriers, les paysans, les soldats et les cadres révolutionnaires.

Il y a aussi des étudiants dans nos bases d'appui, mais ils diffèrent des étudiants du type ancien : ils ont été ou deviendront des cadres. Les différents cadres, les combattants dans l'armée, les ouvriers dans les usines et les paysans dans les campagnes réclament des livres et des journaux dès l'instant où ils ont appris à lire ; les illettrés eux aussi veulent assister à des spectacles, admirer des peintures, chanter, écouter de la musique ; voilà le public auquel s'adressent nos œuvres littéraires et artistiques.

Prenons par exemple nos cadres. Croyez-vous qu'ils soient en petit nombre ? Ils sont bien plus nombreux que les lecteurs d'un ouvrage quelconque publié dans les régions contrôlées par le Kuomintang, où une édition ne compte en général que deux mille exemplaires, ce qui fait seulement six mille pour trois éditions, alors que dans nos bases d'appui le nombre des cadres sachant lire dépasse déjà dix mille rien qu'à Yenan.

De plus, beaucoup sont des révolutionnaires éprouvés, ils sont venus de tous les coins du pays et ils iront travailler dans différentes régions, aussi le travail d'éducation parmi eux est-il d'une grande importance. Nos écrivains et nos artistes doivent s'y employer tout particulièrement.

Puisque notre littérature et notre art sont destinés aux ouvriers, aux paysans, aux soldats et à leurs cadres, il s'agit de comprendre ceux-ci et de les connaître à fond. Il y a énormément à faire pour comprendre et connaître à fond les différentes espèces de gens et de choses dans les organismes du Parti et de l'Etat, à la campagne, dans les usines, dans la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe Armée. Nos écrivains et artistes ont pour tâche leur propre travail de création, mais leur premier devoir est de comprendre les gens et de les connaître à fond.

Or, qu'en a-t-il été à cet égard de nos écrivains et artistes jusqu'à présent ? Je dirais qu'ils ont manqué de connaissance et de compréhension ; ils ont été semblables à ces " héros qui ne savent où manifester leurs prouesses". Quelle est la connaissance qui leur manquait ? Celle des gens.

Nos écrivains et artistes ne connaissaient bien ni leur sujet ni leur public et parfois ceux-ci leur restaient même complètement étrangers. Ils ne connaissaient pas les ouvriers, les paysans et les soldats, ni leurs cadres. Quelle est la compréhension qui leur manquait ?

Celle du langage, c'est-à-dire qu'ils ne comprenaient pas bien le langage riche et vivant des masses.

Nombre d'écrivains et d'artistes demeurent coupés des masses et mènent une existence vide ; le langage du peuple ne leur est évidemment pas familier ; aussi écrivent-ils dans une langue insipide, le plus souvent truffée d'expressions fabriquées, ni chair ni poisson, à cent lieues du langage du peuple.

Beaucoup de camarades aiment à parler du " style des masses " ; mais que signifie l'expression " style des masses " ? Elle signifie que les pensées et les sentiments de nos écrivains et artistes doivent se fondre avec ceux des larges masses d'ouvriers, de paysans et de soldats. Pour réaliser cette fusion, il faut apprendre consciencieusement le langage des masses ; si celui-ci vous est en grande partie inintelligible, comment pouvez-vous parler de création artistique ?

Quand je parle de " héros qui ne savent où manifester leurs prouesses ", j'entends que vos grands discours ne sont guère appréciés des masses.

Plus vous vous posez en hommes d'expérience, plus vous jouez les " héros " et plus vous faites d'efforts pour écouler votre marchandise, plus les masses répugnent à l'acheter.

Si vous voulez que les masses vous comprennent, si vous voulez ne faire qu'un avec elles, vous devez trouver en vous la volonté de vous soumettre à une refonte longue et même douloureuse. A ce propos, je peux vous faire part de mon expérience sur les transformations de mes propres sentiments. J

e suis un homme qui est passé par l'école et j'y avais acquis les habitudes d'un étudiant ; devant la foule des étudiants qui n'auraient pu porter quoi que ce soit sur leurs épaules ou dans leurs mains, j'aurais cru manquer de dignité en faisant le moindre travail manuel, comme par exemple de porter moi-même mes bagages sur l'épaule.

En ce temps-là, il me semblait que seuls les intellectuels étaient propres, et que, comparés à eux, les ouvriers et les paysans étaient plus ou moins sales. Je pouvais porter les vêtements d'un autre intellectuel parce que je pensais qu'ils étaient propres, mais je n'aurais pas voulu mettre les habits d'un ouvrier ou d'un paysan, car je les trouvais sales.

Devenu révolutionnaire, je vécus parmi les ouvriers, les paysans et les soldats de l'armée révolutionnaire et, peu à peu, je me familiarisai avec eux, et eux avec moi. C'est alors, et alors seulement, qu'un changement radical s'opéra dans les sentiments bourgeois et petits-bourgeois qu'on m'avait inculqués dans les écoles bourgeoises. J

'en vins à comprendre que, comparés aux ouvriers et aux paysans, les intellectuels non rééduqués n'étaient pas propres ; que les plus propres étaient encore les ouvriers et les paysans, plus propres, malgré leurs mains noires et la bouse qui collait à leurs pieds, que tous les intellectuels bourgeois et petits-bourgeois. Voilà ce que j'appelle se refondre, remplacer les sentiments d'une classe par ceux d'une autre classe.

Si nos écrivains et artistes venus des milieux intellectuels veulent que leurs œuvres soient bien accueillies par les masses, il faut que leurs pensées et leurs sentiments changent, il faut qu'ils se rééduquent. Sans ce changement, sans cette rééducation, ils n'arriveront à rien de bon et ne seront jamais bien à leur place.
Enfin, le problème de l'étude.

J'entends par là l'étude du marxisme-léninisme et de la société. Ceux qui se considèrent comme des écrivains révolutionnaires marxistes, et à plus forte raison les écrivains communistes, doivent connaître le marxisme-léninisme ; mais il y a aujourd'hui des camarades qui n'ont qu'une connaissance insuffisante des conceptions fondamentales du marxisme. Par exemple, l'une de celles-ci est que l'être détermine la conscience, que la réalité objective de la lutte des classes et de la lutte pour le salut de la nation détermine nos pensées et nos sentiments.

Cependant, certains de nos camarades posent le problème à l'envers et affirment qu'en toutes choses il faut partir de " l'amour ". Or l'amour, dans la société de classes, ne saurait être lui aussi qu'un amour de classe. Mais ces camarades sont à la recherche d'un amour au-dessus des classes, de l'amour dans l'abstrait, comme d'ailleurs de la liberté dans l'abstrait, de la vérité dans l'abstrait, de la nature humaine dans l'abstrait, etc. Cela montre qu'ils ont subi une forte influence bourgeoise.

Il faut liquider totalement cette influence et se consacrer sincèrement à l'étude du marxisme-léninisme. Les travailleurs littéraires et artistiques doivent apprendre l'art de créer, cela va de soi ; mais le marxisme-léninisme est une science que tous les révolutionnaires doivent étudier, et les écrivains et artistes ne font pas exception.

Ils doivent étudier la société, c'est-à-dire ses différentes classes, leurs rapports et leurs conditions respectives, leur physionomie et leur psychologie. C'est seulement lorsque nous aurons tiré au clair toutes ces questions que notre littérature et notre art acquerront un riche contenu et auront une orientation juste.

Aujourd'hui, en guise d'introduction, je ne fais que soulever ces problèmes, sur lesquels j'espère que vous vous prononcerez tous, ainsi que sur certains autres qui s'y rapportent.