Mao Zedong

Interventions aux causeries sur la littérature et l'art


II


Le problème : qui servir ? étant résolu, nous abordons maintenant le problème : comment servir ? Ou, comme le posent nos camarades, devons-nous consacrer nos efforts à élever le niveau de la littérature et de l'art ou bien à les populariser ?

Dans le passé, des camarades ont sous-estime ou négligé dans une certaine mesure, et parfois dans une mesure importante, la popularisation de la littérature et de l'art ; ils attachaient une importance excessive à l'élévation de leur niveau.

Ce niveau doit être élevé ; on a raison d'insister là-dessus, mais on a tort de le faire d'une manière unilatérale, exclusive, jusqu'à l'exagération. Nous retrouvons ici les effets de cette absence d'une solution claire et complète au problème du public auquel sont destinés la littérature et l'art.

Comme ces camarades n'ont pas tiré ce problème au clair, ils manquent d'un bon critère pour juger ce qu'ils appellent " populariser " et " élever le niveau " et, à plus forte raison, ils ne peuvent trouver le juste rapport entre l'un et l'autre.

Dès lors que notre littérature et notre art sont essentiellement destinés aux ouvriers, aux paysans et aux soldats, les populariser signifie les rendre populaires parmi eux, en élever le niveau signifie partir du niveau des ouvriers, des paysans et des soldats pour relever.

Que devons-nous populariser parmi eux ? Ce qui répond aux besoins et au goût de la classe féodale des propriétaires fonciers ? Ou bien de la bourgeoisie ? Ou encore des intellectuels petits-bourgeois ? Non, rien de tout cela.

Nous devons populariser seulement ce dont ont besoin les ouvriers, paysans et soldats et qu'ils sont prêts à accueillir. C'est pourquoi, avant d'entreprendre la tâche d'éduquer les ouvriers, les paysans et les soldats, il nous faut apprendre auprès d'eux. Cela est particulièrement vrai quand on parle d'élever le niveau. Pour élever une chose, il faut la prendre au niveau où elle se trouve.

Un seau d'eau, par exemple, n'est-ce pas sur le sol qu'on le prend pour le soulever ? Serait-ce en l'air par hasard ? D'où devons-nous donc partir pour élever le niveau de la littérature et de l'art ? Du niveau de la classe féodale ? Ou de celui de la bourgeoisie ? Ou de celui des intellectuels petits-bourgeois ?

Non, d'aucun de ces niveaux. Nous ne pouvons élever le niveau de la littérature et de l'art qu'en partant de celui des ouvriers, des paysans et des soldats eux-mêmes.

Cela ne signifie pas non plus que nous devions élever le niveau des ouvriers, des paysans et des soldats à la " hauteur " de celui de la classe féodale, de la bourgeoisie ou des intellectuels petits-bourgeois ; cela signifie qu'il nous faut élever le niveau de la littérature et de l'art en suivant le propre mouvement ascendant des ouvriers, des paysans et des soldats, le mouvement ascendant du prolétariat.

Ici encore s'impose la tâche de nous mettre à l'école des ouvriers, des paysans et des soldats. C'est seulement en partant d'eux que nous arriverons à comprendre comme il faut ce qu'est la popularisation de la littérature et de l'art et l'élévation de leur niveau et que nous trouverons le juste rapport entre l'une et l'autre.

Quelle est en dernière analyse la source de tous les genres littéraires et artistiques ? En tant que formes idéologiques, les œuvres littéraires et les œuvres d'art sont le produit du reflet, dans le cerveau de l'homme, d'une vie sociale donnée.

La littérature et l'art révolutionnaires sont donc le produit du reflet de la vie du peuple dans le cerveau de l'écrivain ou de l'artiste révolutionnaire. La vie du peuple est toujours une mine de matériaux pour la littérature et l'art, matériaux à l'état naturel, non travaillés, mais qui sont en revanche ce qu'il y a de plus vivant, de plus riche, d'essentiel.

Dans ce sens, elle fait pâlir n'importe quelle littérature, n'importe quel art, dont elle est d'ailleurs la source unique, inépuisable. Source unique, car c'est la seule possible ; il ne peut y en avoir d'autre. Certains diront : Et la littérature et l'art dans les livres et les œuvres des temps anciens et des pays étrangers ? Ne sont-ils pas des sources aussi ?

A vrai dire, les œuvres du passé ne sont pas des sources, mais des cours d'eau ; elles ont été créées avec les matériaux que les auteurs anciens ou étrangers ont puisés dans la vie du peuple de leur temps et de leur pays. Nous devons recueillir tout ce qu'il y a de bon dans l'héritage littéraire et artistique légué par le passé, assimiler d'un esprit critique ce qu'il contient d'utile et nous en servir comme d'un exemple, lorsque nous créons des œuvres en empruntant à la vie du peuple de notre temps et de notre pays les matériaux nécessaires.

Entre avoir et ne pas avoir un tel exemple, il y a une différence : la différence qui fait que l'œuvre est élégante ou brute, raffinée ou grossière, supérieure ou inférieure et que l'exécution en est aisée ou laborieuse.

C'est pourquoi nous ne devons pas rejeter l'héritage des anciens et des étrangers ni refuser de prendre leurs œuvres pour exemples, fussent-elles féodales ou bourgeoises. Mais accepter cet héritage et le prendre en exemple ne doit jamais suppléer à notre propre activité de création, que rien ne peut remplacer.

Transposer et imiter sans aucun esprit critique les œuvres anciennes et étrangères, c'est, en littérature et en art, tomber dans le dogmatisme le plus stérile et le plus nuisible.

Les écrivains et artistes révolutionnaires chinois, les écrivains et artistes qui promettent doivent aller parmi les masses ; ils doivent se mêler pendant une longue période, sans réserve et de tout cœur, à la masse des ouvriers, des paysans et des soldats, passer par le creuset du combat, aller à la source unique, prodigieusement riche et abondante, de tout travail créateur, pour observer, comprendre, étudier et analyser toutes sortes de gens, toutes les classes, toutes les masses, toutes les formes palpitantes de la vie et de la lutte, tous les matériaux bruts nécessaires à la littérature et à l'art.

C'est seulement ensuite qu'ils pourront se mettre à créer. Si vous n'agissez pas ainsi, votre travail sera sans objet, vous appartiendrez à ce genre d'écrivains ou d'artistes qui ne le sont que de nom et dont Lou Sin, dans son testament, recommandait vivement à son fils de ne jamais suivre l'exemple (5).

Bien que la vie sociale des hommes soit la seule source de la littérature et de l'art, et qu'elle les dépasse infiniment par la richesse vivante de son contenu, le peuple ne s'en contente pas et veut de la littérature et de l'art. Pourquoi?

Parce que, si la vie comme la littérature et l'art sont beaux, la vie reflétée dans les œuvres littéraires et artistiques peut et doit toutefois être plus relevée, plus intense, plus condensée, plus typique, plus proche de l'idéal et, partant, d'un caractère plus universel que la réalité quotidienne.

Puisant leurs éléments dans la vie réelle, la littérature et l'art révolutionnaires doivent créer les figures les plus variées et aider les masses à faire avancer l'histoire.

Prenons un exemple. Les uns souffrent de la faim et du froid, sont victimes de l'oppression, les autres exploitent et oppriment les hommes ; le fait existe partout et semble bien banal. Mais les écrivains et les artistes ont le pouvoir de condenser ces faits quotidiens, d'exprimer sous une forme typique les contradictions et les luttes qu'ils recèlent et de créer ainsi des œuvres capables d'éveiller les masses populaires, de les exalter, de les appeler à s'unir et à lutter pour changer les conditions dans lesquelles elles vivent.

Sans une telle littérature, un tel art, ces tâches ne pourraient être accomplies, ou ne pourraient l'être avec autant d'efficacité et de rapidité.

Que signifie populariser et que signifie élever le niveau en littérature et en art ? Quel rapport y a-t-il entre ces deux tâches. Les œuvres de vulgarisation sont plus simples, plus faciles à comprendre, et c'est pourquoi elles sont plus aisément et plus rapidement assimilées par les larges masses populaires d'aujourd'hui. Les œuvres d'un niveau élevé demandent une exécution plus soignée, aussi sont-elles plus difficiles à produire, et, à l'heure actuelle, elles se répandent généralement avec plus de difficulté, avec plus de lenteur parmi les masses populaires.

Voici le problème devant lequel se trouvent à présent les ouvriers, les paysans et les soldats : Ils sont engagés dans une lutte farouche et sanglante contre l'ennemi et, illettrés et sans culture, parce que soumis à la longue domination de la classe féodale et de la bourgeoisie, ils ont grand besoin que se développe un vaste mouvement d'initiation culturelle ; ils réclament avec insistance la culture et l'instruction, les œuvres littéraires et artistiques qui répondent à leurs besoins immédiats et qu'ils pourraient s'assimiler sans difficulté, de sorte que leur enthousiasme au combat en soit exalté, leur foi dans la victoire affermie et leur solidarité renforcée dans la lutte unanime contre l'ennemi.

Ce qu'il faut d'abord faire pour eux n'est pas d'" ajouter des fleurs à un brocart ", mais d'" offrir du charbon par temps de neige ". C'est pourquoi, dans les conditions actuelles, la popularisation est la tâche la plus urgente. La sous-estimer ou la négliger serait une erreur.
Toutefois, on ne peut séparer de façon absolue le travail de popularisation de celui de l'élévation de niveau. Il est maintenant possible de populariser certaines œuvres de qualité supérieure ; du reste, le niveau culturel des masses s'élève constamment.

Si dans notre travail de popularisation nous nous en tenions toujours au même niveau, si nous fournissions mois après mois, année après année, la même marchandise, si nous donnions toujours " Le Petit Bouvier " (6) ou faisions toujours lire les mêmes mots : " homme, main, bouche, couteau, bœuf, mouton " (7), quelle différence y aurait-il encore entre éducateur et éduqué ? Ce serait bonnet blanc et blanc bonnet.

Quel sens pourrait bien avoir une popularisation pareille ? Le peuple demande d'abord que les œuvres soient populaires, puis que leur niveau s'élève aussitôt, qu'il s'élève de mois en mois et d'année en année. De même que populariser signifie rendre accessible pour le peuple, élever le niveau signifie ici l'élever pour le peuple. C'est une élévation de niveau qui ne part pas du vide et ne s'enferme pas entre quatre murs, c'est une élévation de niveau fondée sur la popularisation.

Elle est déterminée par la popularisation en même temps qu'elle la guide. En Chine, la révolution et la culture révolutionnaire ont un développement inégal et ne s'étendent que progressivement.

Alors qu'en tel endroit on a popularisé la littérature et l'art et même, sur cette base, élevé leur niveau, en tel autre on n'a pas encore commencé à les populariser. Ainsi, l'expérience que nous avons acquise dans un endroit en nous fondant sur la popularisation de la littérature et de l'art pour en élever le niveau peut être mise à profit dans d'autres endroits, afin d'y guider notre travail et de nous épargner bien des détours et des erreurs. Sur le plan international, l'expérience positive acquise à l'étranger, et en premier lieu en Union soviétique, peut également nous servir de guide.

Ainsi donc, nous fondons sur la popularisation nos efforts pour élever le niveau de la littérature et de l'art et ces efforts guident à leur tour la popularisation.

C'est pourquoi la popularisation, au sens où nous l'entendons, loin de nuire aux efforts que nous faisons actuellement, dans un cadre limité, pour élever le niveau de nos productions, leur fournit une base et crée en même temps les conditions nécessaires pour la poursuite de ce travail dans un cadre beaucoup plus vaste à l'avenir.

Outre l'élévation du niveau de nos œuvres répondant directement aux besoins des masses, il en existe une autre, qui répond à leurs besoins d'une manière indirecte : c'est l'élévation de ce niveau exigée par les cadres.

Les cadres sont les éléments avancés des masses et ils ont reçu en général une instruction plus poussée ; il leur faut une littérature et un art d'un niveau plus élevé, et ce serait une erreur de ne pas tenir compte de ce besoin. Ce que vous faites pour les cadres, vous le faites intégralement pour les masses, car on ne peut éduquer les masses et les guider que par l'intermédiaire des cadres.

Si nous nous détournons de ce but, si ce que nous donnons aux cadres ne peut les aider à éduquer les masses et à les guider, nos efforts pour élever le niveau littéraire et artistique n'auront plus d'objet et s'écarteront de notre principe fondamental, qui est de servir les masses populaires.

En résumé, les matériaux bruts de la littérature et de l'art, contenus dans la vie du peuple, deviennent, par le travail créateur des écrivains et des artistes révolutionnaires, la littérature et l'art qui, en tant que formes idéologiques, servent les masses populaires.

Il s'agit, d'une part, d'une littérature et d'un art d'un niveau élevé, qui se sont développés sur la base d'une littérature et d'un art d'un niveau élémentaire et sont nécessaires à la partie des masses dont le niveau s'est élevé ou, plus immédiatement, aux cadres travaillant au sein de celles-ci ; d'autre part, il s'agit d'une littérature et d'un art d'un niveau élémentaire qui, à l'inverse, sont produits sous la direction de la littérature et de l'art du niveau élevé et répondent en général aux premiers besoins de la grande majorité des masses d'aujourd'hui. Qu'ils soient d'un niveau élevé ou d'un niveau élémentaire, notre littérature et notre art servent au même titre la grande masse du peuple, au premier chef les ouvriers, les paysans et les soldats ; ils sont créés pour eux et utilisés par eux.

Ayant résolu le problème du rapport entre la popularisation de la littérature et de l'art et l'élévation de leur niveau, nous allons pouvoir résoudre également le problème des rapports entre spécialistes et vulgarisateurs. Nos spécialistes doivent travailler non seulement pour les cadres, mais aussi et surtout pour les masses.

Nos spécialistes en littérature doivent s'intéresser aux journaux muraux édités par les masses ainsi qu'aux reportages provenant de l'armée et des régions rurales ; nos spécialistes de la scène doivent s'intéresser aux petites troupes théâtrales de l'armée et des régions rurales ; nos spécialistes de la musique doivent s'intéresser aux chansons créées par les masses, et nos spécialistes des beaux-arts, à l'art populaire.

Tous ces camarades doivent se lier étroitement avec les camarades qui travaillent parmi les masses à la popularisation de la littérature et de l'art ; tout en les aidant et en les guidant, ils doivent s'instruire auprès d'eux, se nourrir, par leur intermédiaire, de la sève qui monte des masses, pour vivifier et enrichir leur art, afin que leur spécialité ne devienne pas un " château dans les nuages ", éloigné des masses et de la réalité, dépourvu de contenu et de vie.

Nous devons avoir de la considération pour nos spécialistes, ils sont très précieux pour notre cause. Toutefois, nous devons leur dire qu'un écrivain ou artiste révolutionnaire ne peut donner un sens à son travail que s'il est lié aux masses, s'il reflète leur vie, s'il est leur porte-parole fidèle.

C'est seulement en étant le représentant des masses qu'il peut les éduquer, c'est seulement en se faisant leur élève qu'il peut devenir leur maître. S'il se prend pour un seigneur vis-à-vis des masses, s'il se pose en aristocrate trônant au-dessus de la " plèbe ", alors, si grand que soit son talent, il ne sera d'aucune utilité pour les masses et son travail sera sans avenir.

Notre attitude n'est-elle pas utilitariste ? Les matérialistes ne sont pas contre l'utilitarisme en général, ils sont contre l'utilitarisme des classes féodale, bourgeoise et petite-bourgeoise, contre ces hypocrites qui se disent ennemis de l'utilitarisme mais pratiquent en réalité l'utilitarisme le plus égoïste et le plus myope.

En ce monde, il n'y a pas d'utilitarisme qui soit en dehors des classes ; dans la société de classes, ce qui n'est pas l'utilitarisme d'une classe est celui d'une autre.

Nous sommes des utilitaristes révolutionnaires, prolétariens, nous partons de l'unité des intérêts présents et futurs des masses les plus larges constituant plus de 90 pour cent de notre population ; nous sommes donc des utilitaristes révolutionnaires qui nous assignons les objectifs les plus larges et pour l'avenir le plus lointain, et non des utilitaristes étroits qui ne voient que le particulier et l'immédiat.

Si une œuvre ne plaît qu'à un public restreint et n'est pas utile ou même nuit à la majorité du peuple et si cependant, dans un but utilitaire personnel ou au profit d'un cercle étroit, on l'impose sur le marché, on fait de la propagande pour elle parmi les masses et qu'après cela on accuse encore les masses d'utilitarisme, non seulement on insulte les masses, mais encore on montre que l'on se connaît fort mal soi-même.

Une chose n'est bonne que si elle est réellement utile aux masses. Votre œuvre fût-elle aussi belle que " La Neige printanière ", si elle n'est goûtée pour le moment que par le petit nombre, si les masses continuent à chanter " Le Chant des rustres " (8) et que, sans essayer d'élever leur niveau, vous vous contentiez de les vitupérer, toutes vos récriminations seront vaines.

A l'heure actuelle, notre tâche est d'associer " La Neige printanière " au " Chant des rustres ", d'unir l'élévation du niveau à la popularisation de la littérature et de l'art. Sinon, l'art le plus sublime, de quelque grand maître que ce soit, n'est en fin de compte que de l'utilitarisme du genre le plus étroit. Et vous avez beau affirmer que votre art est " pur et sublime ", c'est vous seul qui le dites, mais les masses ne vous approuvent pas.

Une fois résolu le problème de notre orientation fondamentale, à savoir qu'il faut servir les ouvriers, les paysans et les soldats et comment il faut les servir, d'autres problèmes se trouvent résolus du même coup, comme, par exemple, celui de savoir s'il faut peindre la lumière ou les ténèbres, celui de l'unité, etc. Si nous nous sommes mis d'accord sur cette orientation fondamentale, nos écrivains et nos artistes, nos écoles et nos publications de littérature et d'art, nos organisations dans ces domaines et toute notre activité littéraire et artistique doivent s'y conformer.

S'en écarter serait une erreur. Et tout ce qui ne correspond pas à cette orientation doit être corrigé comme il faut.