Mao Zedong

Interventions aux causeries sur la littérature et l'art

V

Que peut-on conclure du fait que ces problèmes se posent dans les milieux littéraires et artistiques de Yenan ?

On peut en conclure que, dans ces milieux, il existe encore un style de travail très incorrect, que nos camarades souffrent encore de bien des défauts tels que l'idéalisme, le dogmatisme, le goût des vaines imaginations, le verbiage, le mépris de la pratique, la rupture avec les masses, etc.

Il nous faut procéder effectivement à un mouvement sérieux pour rectifier le style de travail.

Nombre de nos camarades n'ont pas encore une idée bien claire de la différence entre le prolétariat et la petite bourgeoisie. Beaucoup de membres du Parti ne le sont que du point de vue de l'organisation et encore d'une façon incomplète, ou même pas du tout, du point de vue idéologique.

Ils ont encore la tête farcie de l'infect fatras hérité des classes exploiteuses ; ils ne comprennent absolument pas ce que c'est que l'idéologie prolétarienne, le communisme, le Parti.

Ils se disent : " L'idéologie prolétarienne ? Qu'est-ce que c'est que ça ? Toujours la même rengaine ! " Ils ne se rendent pas compte qu'il n'est pas si facile de s'assimiler cette " rengaine ". Il y a même des gens qui, de toute leur vie, n'auront jamais rien d'un communiste ; ils finissent inévitablement par quitter le Parti.

Par conséquent, pour diriger le mouvement révolutionnaire de façon qu'il se développe encore mieux et aboutisse plus rapidement, nous devons, bien que notre Parti et ses rangs se composent en majorité d'éléments purs, y mettre sérieusement de l'ordre, tant en ce qui concerne l'idéologie que l'organisation ; et pour avoir de l'ordre dans l'organisation, il en faut d'abord sur le plan de l'idéologie, il faut développer une lutte qui oppose l'idéologie prolétarienne à l'idéologie non prolétarienne. Dans les milieux littéraires et artistiques de Yenan, une lutte idéologique est déjà engagée, et c'est indispensable.

Les intellectuels issus de la petite bourgeoisie s'obstinent toujours et par tous les moyens, y compris la littérature et l'art, à se mettre en avant, à propager leurs convictions personnelles et ils veulent qu'on transforme le Parti et le monde à leur propre image.

Dans de telles circonstances, notre devoir est de leur crier: " Holà ! 'Camarades' ! Ça n'ira pas comme ça ! Le prolétariat ne s'adaptera pas à vous ! Vous suivre, c'est suivre les gros propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie, c'est risquer la mort du Parti, la mort de la patrie ! " Qui faut-il donc suivre ? On ne peut transformer le Parti et le monde qu'à l'image de l'avant-garde prolétarienne.

Nous attendons de nos camarades des milieux littéraires et artistiques qu'ils prennent conscience du grave enjeu de ce grand débat et qu'ils participent plus activement à la lutte pour faire de tous nos camarades des éléments sains, pour resserrer et renforcer vraiment nos rangs, sur le plan de l'idéologie et de l'organisation.

Du fait de la confusion de leurs idées, beaucoup de nos camarades ne savent pas très bien faire la différence entre les bases d'appui de la révolution et les régions sous la domination du Kuomintang ; d'où les nombreuses erreurs qu'ils commettent.

Un bon nombre de camarades qui sont arrivés ici venaient en droite ligne des réduits situés sous les escaliers dans lesquels ils vivaient à Changhaï ; en quittant ces réduits pour les bases d'appui de la révolution, ces camarades sont passés non seulement d'une région à une autre, mais aussi d'une époque historique à une autre.

Là, c'est une société semi-féodale, semi-coloniale, sous la domination des gros propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, ici, une société révolutionnaire de démocratie nouvelle, sous la direction du prolétariat. Arriver dans les bases révolutionnaires, c'est entrer dans une époque telle que n'en a jamais connu l'histoire plusieurs fois millénaire de la Chine, une époque où le pouvoir est exercé par la grande masse du peuple.

Les gens qui nous entourent, le public auquel s'adresse notre propagande sont tout différents. L'ancienne époque est à jamais révolue. C'est pourquoi nous devons nous unir sans la moindre hésitation à ces nouvelles masses populaires.

Et, si vivant parmi elles, vous continuez, camarades, comme je l'ai dit l'autre fois, à " manquer de connaissance et de compréhension " et à rester semblables à ces " héros qui ne savent où manifester leurs prouesses ", vous rencontrerez des difficultés lorsque vous irez à la campagne, et même ici à Yenan. Certains camarades se disent : " Je ferais mieux de continuer à écrire pour les lecteurs du 'grand-arrière' (10) ; c'est un milieu que je connais bien et ce travail a une 'importance nationale'. " Cette façon de voir les choses est tout à fait fausse.

Le " grand-arrière " change, lui aussi, et les lecteurs n'y sont pas disposés à entendre les écrivains des bases révolutionnaires leur ressasser toujours les mêmes histoires ; ils attendent qu'on leur parle des hommes nouveaux, du monde nouveau. Une œuvre aura donc d'autant plus une portée nationale qu'elle sera plus directement écrite pour les masses des bases révolutionnaires.

Dans La Débâcle de Fadéi'eb (11), on ne parle que d'un tout petit détachement de partisans. Cette œuvre n'est pas du tout conçue pour satisfaire les goûts des lecteurs de la vieille société ; elle n'en a pas moins exercé son influence sur le monde entier. En tout cas, elle a eu, comme on le sait, une très grande influence en Chine.

La Chine va de l'avant, elle ne recule pas ; dans sa marche en avant, elle est guidée par les bases révolutionnaires et non par des régions arriérées, rétrogrades. Au cours de la rectification de leur style de travail, nos camarades doivent, en tout premier lieu, se pénétrer de ce point essentiel.

Et puisqu'il est indispensable de s'intégrer à l'époque nouvelle, à l'époque des masses, il faut résoudre définitivement le problème des relations entre l'individu et les masses. Prenons pour devise ces deux vers de Lou Sin :
Le sourcil hautain, je défie froidement les milliers qui pointent le doigt sur moi, La tête baissée, je me -fais volontiers le buffle de l'enfant (12).

" Les milliers " désignent ici l'ennemi ; nous ne nous inclinerons jamais devant l'ennemi, si féroce soit-il. Par " enfant ", il faut entendre le prolétariat, et la grande masse du peuple.

Tous les communistes, tous les révolutionnaires, tous les travailleurs révolutionnaires de la littérature et de l'art doivent prendre exemple sur Lou Sin, se faire le " buffle " du prolétariat et des masses populaires et " accepter d'en porter le faix jusqu'au dernier soupir "(13).

Pour que les intellectuels puissent se fondre avec les masses populaires, puissent les servir, il faut du temps, le temps qu'ils apprennent, eux et les masses, à se connaître mutuellement. Il est possible, il est peut-être inévitable que cela n'aille pas sans beaucoup de souffrances et de frictions, mais si vous êtes bien résolus, vous arriverez au but.

Je ne me suis arrêté aujourd'hui que sur quelques questions relatives à l'orientation fondamentale de notre mouvement littéraire et artistique ; il existe encore beaucoup de questions particulières qui nécessiteront une étude approfondie.

Je suis convaincu que vous êtes résolus, camarades, à vous engager dans la voie indiquée.

Je suis convaincu qu'en corrigeant votre style de travail, en passant par une longue période d'étude et de travail, vous saurez vous transformer vous-mêmes et transformer votre art, que vous saurez créer une foule d'oeuvres remarquables, chaleureusement accueillies par les masses populaires, que vous saurez porter le mouvement littéraire et artistique à un stade nouveau, un stade glorieux, non seulement dans les bases révolutionnaires, mais dans toute la Chine.