Karl Marx

Salaire, prix et profit




LA VALEUR DU TRAVAIL

Il nous faut revenir maintenant à l'expression "valeur ou prix du travail".

Nous avons vu qu'en fait cette valeur n'est que la valeur de la force de travail, mesurée d'après la valeur des marchandises nécessaires à son entretien. Mais comme l'ouvrier ne reçoit son salaire qu'après l'achèvement de son travail, et comme il sait, en outre, que ce qu'il donne vraiment au capitaliste, c'est son travail, la valeur ou le prix de sa force de travail lui apparaît nécessairement comme le prix ou la valeur de son travail même.

Si le prix de sa force de travail est de 3 shillings dans lesquels sont réalisées 6 heures de travail, et s'il travaille 12 heures, il considère nécessairement ces 3 shillings comme la valeur ou le prix de il heures de travail, bien que ces 12 heures de travail représentent une valeur de 6 shillings. De là un double résultat.

Premièrement. La valeur ou le prix de la force de travail prend l'apparence extérieure du prix ou de la valeur du travail lui-même, bien que, rigoureusement parlant, le terme de valeur ou de prix du travail n'ait aucun sens.
Deuxièmement. Quoiqu'une partie seulement du travail journalier de l'ouvrier soit payée, tandis que l'autre partie teste impayée, et bien que ce soit précisément cette partie non payée ou surtravail qui constitue le fonds d'où se forme la plus-value ou profit, il semble que le travail tout entier soit du travail payé.

C'est cette fausse apparence qui distingue le travail salarié des autres formes historiques du travail. A la base du système du salariat, même le travail non payé semble être du travail payé.

Dans le travail de l'esclave, c'est tout le contraire: même la partie de son travail qui est payée apparaît comme du travail non payé. Naturellement, pour pouvoir travailler, il faut bien que l'esclave vive, et une partie de sa journée de travail sert à compenser la valeur de son propre entretien. Mais comme il n'y a pas de marché conclu entre lui et son maître, comme il n'y a ni achat ni vente entre les deux parties, tout son travail a l'air d'être cédé pour rien.

Prenons, d'autre part, le paysan serf tel qu'il existait, pourrions-nous dire, hier encore, dans toute l'Europe orientale. Ce paysan travaillait, par exemple, 3 jours pour lui-même sur son propre champ ou sur celui qui lui était alloué, et les 3 jours suivants il faisait du travail forcé et gratuit sur le domaine de son seigneur. Ici donc le travail payé et le travail non payé étaient visiblement séparés, dans le temps et dans l'espace.

Et nos libéraux étaient transportés d'indignation à l'idée absurde de faire travailler un homme pour rien.

En fait, pourtant, qu'un homme travaille 3 jours de la semaine pour lui-même sur son propre champ et 3 jours sur le domaine de son seigneur, ou bien qu'il travaille à la fabrique ou à l'atelier 6 heures par jour pour lui-même et 6 pour son patron, cela revient au même, bien que, dans ce dernier cas, les parties payées et non payées du travail soient inséparablement mélangées, et que la nature de toute cette opération soit complètement masquée par l'intervention du contrat et par la paye effectuée à la fin de la semaine.

Dans un cas, le travail non payé paraît être donné volontairement et, dans l'autre, arraché par la contrainte. C'est là toute la différence.

Lorsque j'emploierai, par la suite, l'expression "valeur du travail", je ne ferai que prendre la tournure d'usage pour "valeur de la force de travail".

LE PROFIT SE REALISE LORSQU'UNE
MARCHANDISE EST VENDUE A SA VALEUR


Supposons qu'une heure de travail moyen renferme une valeur de 6 pence, c'est-à-dire que 12 heures de travail moyen contiennent une valeur de 6 shillings. Supposons, en outre, que la valeur du travail soit de 3 shillings, c'est-à-dire le produit de 6 heures de travail.

Si, de plus, dans la consommation de la matière première, dans l'usure des machines, etc., employées pour une marchandise déterminée, étaient incorporées 24 heures de travail moyen, sa valeur s'élèverait à 12 shillings. Si, en outre, l'ouvrier occupé par le capitaliste ajoutait à ces moyens de production 12 heures de travail, ces 12 heures seraient matérialisées dans une valeur additionnelle de 6 shillings.

La valeur totale du produit s'élèverait donc à 36 heures de travail cristallisé, c'est-à-dire à 18 shillings. Mais comme la valeur du travail ou le salaire payé à l'ouvrier ne serait que de 3 shillings, le capitaliste n'aurait point payé d'équivalent pour les 6 heures de surtravail fournies par l'ouvrier et incorporées dans la valeur de la marchandise.

En vendant cette marchandise à sa valeur, 18 shillings, le capitaliste réaliserait par conséquent une valeur de 3 shillings pour laquelle il n'aurait pas payé d'équivalent. Ces 3 shillings constitueraient la plus-value qu'il aurait encaissée, c'est-à-dire le profit. Le capitaliste réaliserait par conséquent le profit de 3 shillings non pas en vendant sa marchandise à un prix supérieur à sa valeur, mais en la vendant à sa valeur réelle.

La valeur d'une marchandise est déterminée par la quantité totale du travail qu'elle contient. Mais une partie de cette quantité de travail représente une valeur pour laquelle a été payé un équivalent sous la forme de salaires, une autre partie est incorporée dans une valeur pour laquelle on ne paie pas d'équivalent. Une partie du travail contenu dans la marchandise est du travail payé, une autre partie est du travail non payé.

Par conséquent, en vendant la marchandise à sa valeur, c'est-à-dire comme la cristallisation de la quantité totale du travail qui y fut employée, le capitaliste doit forcément la vendre avec un profit. Il ne vend pas seulement ce qui lui a coûté un équivalent, mais aussi ce qui ne lui a rien coûté, bien que cela ait coûté du travail à son ouvrier. Les frais de production de la marchandise pour le capitaliste et son coût réel sont deux choses différentes.

Je répète donc que l'on fait des profits normaux et moyens lorsqu'on vend les marchandises non pas au-dessus de leur valeur réelle, mais bien à leur valeur réelle.

LES DIVERSES PARTIES ENTRE LESQUELLES SE DECOMPOSE LA PLUS-VALUE

La plus-value, c'est-à-dire la partie de la valeur totale des marchandises dans laquelle est incorporé le surtravail, le travail impayé de l'ouvrier, je l'appelle le profit. Le profit n'est pas empoché tout entier par l'employeur capitaliste. Le monopole de la terre met le propriétaire foncier en mesure de s'approprier une partie de la plus-value sous le nom de rente, que la terre soit employée à l'agriculture, à des bâtiments, à des chemins de fer ou à toute autre fin productive.

D'autre part, le fait même que la possession des instruments de travail donne à l'employeur capitaliste la possibilité de produire une plus-value ou, ce qui revient au même, de s'approprier une certaine quantité de travail impayé, permet au possesseur des moyens de travail qui les prête en entier ou en partie à l'employeur capitaliste, en un mot, au capitaliste prêteur d'argent, de réclamer pour lui-même à titre d'intérêt une autre partie de cette plus-value, de sorte qu'il ne reste à l'employeur capitaliste comme tel que ce que l'on appelle le profit industriel ou commercial.

La question de savoir à quelles lois est soumise cette répartition du montant total de la plus-value entre ces trois catégories d'individus est tout à fait étrangère à notre sujet.

De ce que nous avons exposé, voici, cependant, ce qu'il résulte:

Rente, taux d'intérêt et profit industriel ne sont que des noms différents des différentes parties de la plus-value de la marchandise, c'est-à-dire du travail non payé que celle-ci renferme, et ils ont tous la même source et rien que cette source.

Ils ne proviennent ni de la terre ni du capital comme tels, mais la terre et le capital permettent à leurs possesseurs de toucher chacun leur part de la plus-value extraite de l'ouvrier par l'employeur capitaliste.

Pour l'ouvrier lui-même, il est d'une importance secondaire que cette plus-value, résultat de son surtravail, de son travail non payé, soit empochée exclusivement par l'employeur capitaliste, ou que ce dernier soit contraint d'en céder des parties sous le nom de rente et d'intérêt à des tiers.

Supposons que l'employeur capitaliste utilise uniquement son propre capital et qu'il soit son propre propriétaire foncier, toute la plus-value affluerait alors dans sa poche.

C'est l'employeur capitaliste qui extrait directement de l'ouvrier cette plus-value, quelle que soit la part qu'il en puisse finalement garder lui-même.

C'est par conséquent de ce rapport entre l'employeur capitaliste et l'ouvrier salarié que dépend tout le système du salariat et tout le système de production actuel.

Les citoyens qui ont pris part à notre discussion, en essayant d'atténuer les choses et de traiter ce rapport fondamental entre l'employeur capitaliste et l'ouvrier comme une question subalterne, commettaient donc une erreur, bien que, d'autre part, ils eussent raison d'affirmer que, dans des conditions données, une hausse des prix peut affecter de façon très inégale l'employeur capitaliste, le propriétaire foncier, le capitaliste financier et, s'il vous plaît, le collecteur d'impôts.

De ce qui a été dit résulte encore une autre conséquence. Cette partie de la valeur de la marchandise, qui ne représente que la valeur des matières premières, des machines, bref, la valeur des moyens de production consommés, ne produit pas de revenu et ne fait que restituer le capital.

Mais en dehors de cela, il est faux de dire que l'autre partie de la valeur de la marchandise qui forme le revenu ou qui peut être distribuée sous forme de salaire, profit, rente, taux d'intérêt, est constituée par la valeur des salaires, la valeur de la rente, la valeur du profit, etc.

Nous laisserons, tout d'abord, de côté les salaires, et nous ne nous occuperons que des profits industriels, de l'intérêt et de la rente foncière.

Nous venons de voir que la plus-value contenue dans la marchandise, c'est-à-dire cette partie de la valeur dans laquelle est incorporé du travail non payé, se décompose en différents éléments qui portent trois noms différents. Mais il serait contraire à la vérité de prétendre que sa valeur se compose ou est formée de l'addition des valeurs indépendantes de ces trois parties constituantes.

Si une heure de travail se réalise dans une valeur de 6 pence, si la journée de l'ouvrier comprend 12 heures et si la moitié de ce temps est du travail non payé, ce surtravail ajoutera à la marchandise une plus-value de 3 shillings qui est une valeur pour laquelle on n'a pas payé d'équivalent. Cette plus-value de 3 shillings représente le fonds entier que l'employeur capitaliste peut partager, quelle qu'en soit la proportion, avec le propriétaire foncier et le prêteur d'argent.

La valeur de ces 3 shillings constitue la limite de la valeur qu'ils ont à se partager entre eux. Mais ce n'est pas l'employeur capitaliste qui ajoute à la valeur des marchandises une valeur arbitraire pour réaliser son profit; ensuite, une autre valeur s'ajoute pour le propriétaire foncier, et ainsi de suite, de sorte que l'addition de ces valeurs, arbitrairement fixées, constituerait la valeur totale.

Vous voyez donc combien est erronée l'opinion généralement reçue qui confond la décomposition d'une valeur donnée en trois parties avec la formation de cette valeur par l'addition de trois valeurs indépendantes et transforme ainsi en une grandeur arbitraire la valeur totale qui est à l'origine de la rente, du profit et de l'intérêt.

Si le profit total réalisé par le capitaliste est égal à 100 livres, nous appelons cette somme, considérée comme grandeur absolue, le montant du profit. Mais si nous calculons le rapport dans lequel ces 100 livres se trouvent relativement au capital déboursé, nous appelons cette grandeur relative le taux du profit. Il est clair que ce taux du profit peut être exprimé sous deux formes.

Supposons que le capital déboursé en salaires soit de 100 livres. Si la plus-value produite se monte également à 100 livres - et cela indiquerait que la moitié de la journée de travail de l'ouvrier se compose de travail non payé - et si nous estimons ce profit d'après la valeur du capital avancé en salaires, nous dirons que le taux du profit s'élève à 100 pour cent parce que la valeur avancée serait cent et la valeur réalisée deux cents.

Si, d'autre part, nous considérions non seulement le capital avancé en salaires, mais la totalité du capital déboursé, disons, par exemple, 500 livres, dont 400 livres représentent la valeur des matières premières, machines, etc., nous dirions que le taux du profit ne s'élève qu'à 20 pour cent, parce que le profit de 100 ne serait que le cinquième de la totalité du capital déboursé.

La première manière d'exprimer le taux du profit est la seule qui vous montre le véritable rapport entre le travail payé et le travail non payé, le degré véritable de l'exploitation (permettez-moi ce mot français) du travail L'autre façon de s'exprimer est la plus usuelle, et on y a recours, en effet, dans certains buts.

Elle est en tout cas très utile pour dissimuler le degré suivant lequel le capitaliste extrait du travail gratuit de l'ouvrier.

Dans les explications que j'ai encore à donner, j'emploierai le mot profit pour désigner le montant total de la plus-value extraite par le capitaliste, sans me soucier de la répartition de cette plus-value entre les diverses parties, et lorsque j'emploierai le mot taux du profit, je mesurerai toujours le profit d'après la valeur que le capitaliste a avancée sous forme de salaires.

LE RAPPORT GENERAL ENTRE LES
PROFITS, LES SALAIRES ET LES PRIX

Si de la valeur d'une marchandise nous retranchons la valeur qui restitue celle des matières premières et des autres moyens de production consommés, c'est-à-dire si nous retranchons la valeur qui représente le travail passé qu'elle contient, la valeur restante sera réduite à la quantité de travail qu'y a ajoutée l'ouvrier occupé en dernier lieu.

Si cet ouvrier travaille 12 heures. par jour et si 12 heures de travail moyen se cristallisent en une somme d'argent de 6 shillings, cette valeur additionnelle de 6 shillings est la seule valeur que son travail aura créée. Cette valeur donnée, déterminée par le temps de son travail, est le seul fonds d'où l'ouvrier ainsi que le capitaliste puiseront respectivement leurs parts ou dividendes, la seule valeur qui soit répartie en salaire et en profit.

Il est clair que cette valeur elle-même n'est pas modifiée par le rapport variable suivant lequel elle peut être partagée entre les deux parties.

Il n'y aura rien de changé non plus si au lieu d'un ouvrier nous mettons toute la population travailleuse et si au lieu d'une journée de travail nous en mettons 12 millions, par exemple.
Le capitaliste et l'ouvrier n'ayant à partager que cette valeur limitée, c'est-à-dire la valeur mesurée d'après le travail total de l'ouvrier, plus l'un recevra, moins recevra l'autre, et inversement.

Pour une quantité donnée, la part de l'un augmentera dans la proportion où celle de l'autre diminuera. Si les salaires changent, les profits changeront en sens contraire. Si les salaires baissent, les profits monteront, et si les salaires montent, les profits baisseront.

Si l'ouvrier, comme nous l'avons supposé précédemment, reçoit 3 shillings, c'est-à-dire la moitié de la valeur qu'il crée, ou si sa journée entière de travail se compose pour moitié de travail payé et pour moitié de travail non payé, le taux du profit s'élèvera à 100 pour cent, car le capitaliste recevra également 3 shillings.

Si l'ouvrier ne reçoit que 2 shillings, c'est-à-dire s'il ne travaille que le tiers de la journée pour lui-même, le capitaliste recevra 4 shillings, et le taux du profit sera donc de 200 pour cent. Si l'ouvrier reçoit 4 shillings, le capitaliste n'en recevra que 2, et le taux du profit tombera alors à 50 pour cent. Mais toutes ces variations sont sans influence sur la valeur de la marchandise.

Une hausse générale des salaires entraînerait par conséquent une baisse du taux général du profit, mais resterait sans effet sur la valeur.

Mais bien que les valeurs des marchandises doivent en définitive régler leur prix sur le marché, et cela exclusivement d'après la quantité totale du travail fixée en elle et non d'après le partage de cette quantité en travail payé et en travail impayé, il ne s'ensuit nullement que les valeurs de telle ou telle marchandise ou d'un certain nombre de marchandises produites, par exemple, en 12 heures, restent toujours constantes.

Le nombre ou la masse des marchandises fabriquées en un temps de travail déterminé ou au moyen d'une quantité de travail déterminée dépend de la force productive du travail employé à sa production et non de son étendue ou de sa durée.

Avec un degré déterminé de la force productive du travail de filage, par exemple, on produit, dans une journée de travail de 12 heures, 12 livres de filé, avec un degré inférieur, 2 livres seulement.

Si donc dans un cas 12 heures de travail moyen étaient incorporées dans une valeur de 6 shillings, les 12 livres de filé coûteraient 6 shillings, dans l'autre cas les 2 livres de filé coûteraient également 6 shillings. Une livre de filé coûterait par conséquent 6 pence dans un cas et 3 shillings dans l'autre.

Cette différence de prix serait une conséquence de la diversité des forces productives du travail employé. Avec une force productive supérieure, une heure de travail serait incorporée dans une livre de filé, alors qu'avec une force productive inférieure, 6 heures de travail seraient incorporées dans une livre de filé. Le prix d'une livre de filé ne s'élèverait, dans un cas, qu'à 6 pence, bien que les salaires fussent relativement élevés et le taux du profit bas.

Dans l'autre cas, il serait de 3 shillings, quoique les salaires fussent bas et le taux du profit élevé. Il en serait ainsi parce que le prix de la livre de filé est déterminé par la quantité totale de travail qu'elle renferme et non par le rapport suivant lequel cette quantité totale est partagée en travail payé et travail impayé.

Le fait mentionné plus haut, que du travail bien payé peut produire de la marchandise bon marché, et du travail mal payé de la marchandise chère, perd donc son apparence paradoxale. I

l n'est que l'expression de la loi générale: la valeur d'une marchandise est déterminée par la quantité de travail qui y est incorporée, et cette quantité de travail dépend exclusivement de la force productive du travail employé et variera par conséquent à chaque modification de la productivité du travail.

PRINCIPAUX EXEMPLES DE LUTTE POUR UNE AUGMENTATION OU CONTRE UNE REDUCTION DU SALAIRE

Nous allons maintenant examiner sérieusement les exemples les plus importants de lutte pour une augmentation ou contre une réduction du salaire:
1. Nous avons vu que la valeur de la force de travail, ou, pour employer une formule plus courante, la valeur du travail, est déterminée par la valeur des objets de première nécessité, c'est-à-dire par la quantité de travail nécessaire à leur production.

Si donc, dans un pays déterminé, la valeur moyenne des objets de première nécessité qu'emploie journellement l'ouvrier était de 6 heures de travail, exprimée par 3 shillings, l'ouvrier devrait travailler 6 heures par jour pour créer l'équivalent de son entretien journalier.

Si la journée entière de travail s'élevait à 12 heures, le capitaliste lui paierait la valeur de son travail en lui donnant 3 shillings. La moitié de la journée de travail serait du travail non payé et le taux du profit s'élèverait à 100 pour cent. Mais supposons maintenant que, par suite d'une diminution de la productivité, on ait besoin de plus de travail pour obtenir, disons, la même quantité de produits agricoles, de telle sorte que le prix des denrées courantes journellement nécessaires monte de 3 à 4 shillings.

En ce cas, la valeur du travail hausserait d'un tiers, ou de 33 1/3 pour cent. Il faudrait alors 8 heures de la journée de travail pour produire l'équivalent de l'entretien journalier de l'ouvrier conformément à son niveau de vie précédent. Le surtravail tomberait par conséquent de 6 heures à 4, et le taux du profit de 100 pour cent à 50.

En réclamant une augmentation de salaire, l'ouvrier exigerait seulement la valeur accrue de son travail, comme tout autre vendeur d'une marchandise quelconque qui, dès que les frais de production de celle-ci ont augmenté, essaie d'obtenir qu'on lui paie cette valeur accrue.

Si les salaires ne montaient pas ou ne montaient pas assez pour compenser la valeur accrue des objets indispensables, le prix du travail tomberait au-dessous de la valeur du travail, et les conditions d'existence de l'ouvrier empireraient.
Mais une modification peut se produire également en sens opposé.

Grâce à la productivité accrue du travail, la même quantité moyenne de moyens de subsistance journellement nécessaires pourrait tomber de 3 shillings à 2, c'est-à-dire n'exiger que 4 heures de la journée de travail au lieu de 6 pour produire l'équivalent de la valeur quotidienne de ces moyens de subsistance. L'ouvrier serait alors en mesure d'acheter avec 2 shillings exactement autant de denrées de nécessité courante qu'il en pouvait acheter précédemment avec 3 shillings. En fait, la valeur du travail aurait baissé, mais cette valeur diminuée représenterait la même quantité de marchandises qu'auparavant.

Alors, le profit s'élèverait de 3 à 4 shillings et le taux du profit de 100 à 200 pour cent. Bien que les conditions d'existence absolues de l'ouvrier fussent restées les mêmes, son salaire relatif et, partant, sa situation sociale relative comparée à celle du capitaliste auraient empiré. Si l'ouvrier opposait de la résistance à cette diminution de salaire relative, il ne ferait que s'efforcer d'obtenir une part de productivité accrue de son propre travail et de conserver son ancienne situation sociale relative.

C'est ainsi qu'après l'abolition des lois sur les grains, et en violation flagrante des engagements les plus solennels qu'ils avaient pris au cours de la propagande contre ces lois, les fabricants anglais diminuèrent en général les salaires de 10 pour cent.

Au début, la résistance des ouvriers fut réprimée, mais plus tard, à la suite de circonstances sur lesquelles je ne puis m'arrêter pour l'instant, les 10 pour cent perdus furent reconquis.


2. Les valeurs des denrées de première nécessité et par conséquent la valeur du travail pourraient rester les mêmes, mais, par suite d'une modification antérieure de la valeur de la monnaie, leur prix en argent pourrait subir un changement.
Grâce à la découverte de mines plus riches, etc., la production de deux onces d'or n'exigerait, par exemple, pas plus de travail que celle d'une once d'or auparavant. La valeur de l'or s'abaisserait de moitié, soit de 50 pour cent.

Comme les valeurs de toutes les autres marchandises représenteraient alors le double de leur prix antérieur en argent, il en serait de même également de la valeur du travail. 12 heures de travail exprimées auparavant dans 6 shillings le seraient maintenant dans 12.

Si le salaire de l'ouvrier restait à 3 shillings au lieu de monter à 6, le prix en argent de son travail ne correspondrait qu'à la moitié de la valeur de son travail, et ses conditions de vie empireraient terriblement. Cela se produirait également à un degré plus ou moins grand si son salaire s'élevait, mais non en proportion de la baisse de la valeur de l'or.

En pareil cas, rien ne serait changé, ni dans la force productive du travail, ni dans l'offre et la demande, ni dans les valeurs. Rien n'aurait changé, sauf les appellations monétaires de ces valeurs. Prétendre en pareil cas que l'ouvrier ne doit pas réclamer avec insistance une augmentation proportionnelle des salaires revient à lui dire qu'il lui faut se contenter de mots en guise de choses.
Toute l'histoire du passé prouve que chaque fois qu'il se produit une semblable dépréciation de la monnaie, les capitalistes s'empressent de saisir l'occasion pour frustrer les ouvriers.

Une très grande école d'économistes confirme que, par suite de la découverte de nouveaux gisements aurifères, d'une meilleure exploitation des mines d'argent et de l'offre à meilleur marché du mercure, la valeur des métaux précieux a subi une nouvelle baisse. Cela expliquerait la lutte générale et simultanée sur le continent pour obtenir des salaires plus élevés.
3. Nous avons supposé jusqu'à maintenant que la journée de travail a des limites déterminées.

Cependant, elle n'a pas, par elle-même, de limites constantes. Le capitalisme s'efforce constamment de l'allonger jusqu'à la limite physique extrême du possible, car c'est dans la même proportion qu'augmentent le surtravail et, partant, le profit qui en résulte.

Plus les capitalistes réussissent à prolonger la journée de travail, plus grande est la quantité qu'ils peuvent s'approprier du travail d'autrui. Pendant le XVIIe siècle et même dans les deux premiers tiers du XVIIIe siècle, la journée normale de travail fut de 10 heures dans toute l'Angleterre.

Pendant la guerre contre les Jacobins, qui fut en réalité une guerre de l'aristocratie anglaise contre les masses travailleuses anglaises, le capital célébrant ses bacchanales prolongea la journée de travail de 10 à 12, 14 et 18 heures.

Malthus, qui ne saurait être soupçonné de sentimentalisme larmoyant, déclara dans une brochure parue vers 1815 que si les choses continuaient ainsi, la vie de la nation serait menacée à la source même. Quelques années avant la généralisation des nouvelles inventions mécaniques, vers 1765, parut en Angleterre une brochure sous le titre: Essai sur le commerce.

L'auteur anonyme, ennemi juré de la classe ouvrière, s'y étend sur la nécessité d'élargir les limites de la journée de travail. Dans ce but, il propose, entre autres, la création de maisons de travail (working houses), qui, dit-il, doivent être des "maisons de terreur".

Et quelle doit être la longueur de la journée de travail qu'il propose pour ces "maisons de terreur"? 12 heures, tout juste le temps que les capitalistes, les économistes et les ministres déclaraient, en 1832, être la journée de travail non seulement existante, mais même nécessaire pour un enfant au-dessous de 12 ans.

En vendant sa force de travail - et l'ouvrier est obligé de le faire dans le régime actuel -, il en concède au capitaliste l'utilisation dans certaines limites raisonnables. Abstraction faite de son usure naturelle, il vend sa force de travail pour la conserver et non pour la détruire.

Le fait même de vendre sa force de travail à sa valeur quotidienne ou hebdomadaire implique que cette force de travail ne sera pas l'objet, en un jour ou une semaine, d'une usure de 2 jours ou de 2 semaines. Prenons une machine valant 1000 livres.

Si elle s'use en 10 ans, elle ajoute à la valeur des marchandises à la fabrication desquelles elle a participé 100 livres par an. Si elle s'use en 5 ans, elle ajoute à cette valeur 200 livres par an, c'est-à-dire que la valeur de son usure annuelle est en raison inverse de la rapidité de cette usure.

Mais ce qui distingue l'ouvrier de la machine, c'est que la machine ne s'use pas entièrement dans la proportion même de l'emploi qu'on en fait, alors que l'ouvrier décline dans une mesure bien plus grande que l'accuse la simple addition numérique de son travail.

Quand les ouvriers s'efforcent de ramener la journée de travail à ses anciennes limites rationnelles, ou encore, là où ils ne peuvent arracher la fixation légale de la journée de travail normale, quand ils cherchent à mettre un frein au surtravail par une hausse des salaires non pas calculée seulement d'après le surtravail soutiré, mais portée à un taux plus élevé, ils ne font que remplir un devoir envers eux-mêmes et envers leur race. Ils ne font que mettre des bornes à l'usurpation tyrannique du capital.

Le temps est le champ du développement humain. Un homme qui ne dispose d'aucun loisir, dont la vie tout entière, en dehors des simples interruptions purement physiques pour le sommeil, les repas, etc., est accaparée par son travail pour le capitaliste, est moins qu'une bête de somme.

C'est une simple machine à produire de la richesse pour autrui, écrasée physiquement et abrutie intellectuellement. Et pourtant, toute l'histoire de l'industrie moderne montre que le capital, si on n'y met pas obstacle, travaille sans égard ni pitié à abaisser toute la classe ouvrière à ce niveau d'extrême dégradation.

Par cette prolongation de la journée de travail, le capitaliste pourra bien payer des salaires plus élevés, il n'en abaissera pas moins la valeur du travail si l'augmentation des salaires ne correspond pas à la quantité plus grande de travail soutiré et au déclin plus rapide de la force de travail qui en sera le résultat. Cela peut encore arriver d'une autre manière.

Vos statisticiens bourgeois vous raconteront, par exemple, que les salaires moyens des familles travaillant dans les fabriques du Lancashire ont augmenté. Ils oublient qu'au lieu de l'homme seulement, ce sont aujourd'hui le chef de famille, sa femme et peut-être 3 à 4 enfants qui sont jetés sous les roues du Jaggernaut capitaliste et que l'élévation totale des salaires ne correspond pas au surtravail total soutiré à la famille.
Même dans les limites déterminées de la journée de travail, telles qu'elles existent maintenant dans toutes les branches de l'industrie soumises à la loi sur les fabriques, une hausse des salaires peut devenir nécessaire, ne serait-ce que pour maintenir la valeur du travail à son ancien niveau. En augmentant l'intensité du travail, un homme peut dépenser autant de force vitale en une heure qu'il en dépensait auparavant en 2 heures.

C'est ce qui s'est produit jusqu'à un certain degré dans les industries soumises à la loi sur les fabriques par le fait de l'accélération des machines et du nombre plus grand des machines en marche que surveille maintenant une seule personne.

Si l'accroissement de l'intensité du travail ou si l'augmentation de la somme de travail dépensée en une heure marche de pair avec la réduction de la journée de travail, c'est alors le travailleur qui en sera le bénéficiaire. Si cette limite est dépassée, il perd d'un côté ce qu'il gagne de l'autre, et 10 heures de travail peuvent avoir un effet aussi nuisible que 12 heures auparavant.

En contrecarrant les efforts du capital par la lutte pour des augmentations de salaires qui correspondent à l'intensité croissante du travail, l'ouvrier ne fait que s'opposer à la dépréciation de son travail et à la dégradation de sa race.

4. Vous savez tous que, pour des raisons que je n'ai pas à expliquer ici, la production capitaliste traverse des cycles périodiques déterminés. Elle passe successivement par un état de calme, d'animation croissante, de prospérité, de surproduction, de crise et de stagnation.

Les prix courants des marchandises et le taux courant du profit s'adaptent à ces phases, descendant parfois au-dessous de leurs moyennes et les dépassant à nouveau à d'autres moments.

Si vous observez le cycle tout entier, vous trouverez qu'un écart du prix du marché est compensé par un autre et que, à prendre la moyenne du cycle, les prix des marchandises sur le marché se règlent sur leurs valeurs. Eh bien! pendant la phase de baisse des prix du marché et la phase de crise et de stagnation, l'ouvrier, à moins qu'il ne soit expulsé de la production, verrait très certainement diminuer son salaire.

Pour ne pas être dupé, il lui faudra, même en cas de pareille baisse des prix du marché, discuter avec le capitaliste pour savoir dans quelle proportion une diminution des salaires est devenue nécessaire. S'il ne luttait pas pour des augmentations de salaires pendant la phase de prospérité alors que se réalisent des surprofits, il n'arriverait même pas, dans la moyenne d'un cycle industriel, à son salaire moyen, c'est-à-dire à la valeur de son travail.

Ce serait pousser la bêtise à son comble que d'exiger que l'ouvrier, dont le salaire est nécessairement éprouvé par les phases du déclin du cycle, s'exclue lui-même d'une compensation correspondante pendant celles de prospérité. En général, la valeur de toutes les marchandises ne se réalise que par la compensation correspondante des prix du marché dont les variations continuelles résultent des fluctuations constantes de l'offre et de la demande.

Sur la base du système actuel, le travail n'est qu'une marchandise comme toutes les autres. Il faut, par conséquent, qu'il passe par les mêmes fluctuations pour atteindre un prix moyen qui corresponde à sa valeur.

Ce serait une absurdité de le traiter, d'une part, comme une marchandise, et de vouloir, d'autre part, le soustraire aux lois qui déterminent les prix des marchandises. L'esclave reçoit une quantité fixe et constante pour sa subsistance, mais pas le salarié.

Il faut donc que celui-ci essaie, dans un cas, d'arracher une augmentation des salaires, ne serait-ce que pour compenser la baisse des salaires dans l'autre cas. S'il se contentait d'admettre la volonté, le diktat du capitaliste comme une loi économique constante, il partagerait toute la misère de l'esclave sans jouir de sa sécurité.

5. Dans tous les cas que j'ai envisagés, c'est-à-dire 99 fois sur 100, vous avez vu qu'une lutte pour une augmentation des salaires ne fait que suivre des modifications antérieures, qu'elle est le résultat nécessaire de fluctuations préalables dans la quantité de production, dans les forces productives du travail, dans la valeur du travail, dans la valeur de l'argent, dans l'étendue ou l'intensité du travail soutiré, dans les oscillations des prix du marché qui dépendent de celles de l'offre et de la demande et qui se produisent conformément aux diverses phases du cycle industriel; bref, que ce sont autant de réactions des ouvriers contre des actions antérieures du capital.

Si vous envisagez la lutte pour des augmentations de salaires indépendamment de toutes ces circonstances et en ne considérant que les variations des salaires, si vous négligez toutes les autres variations dont elle découle, vous partez d'une prémisse fausse pour aboutir à de fausses conclusions.

LA LUTTE ENTRE LE CAPITAL
ET LE TRAVAIL ET SES RESULTATS

1. Après avoir montré que la résistance périodiquement exercée de la part de l'ouvrier contre la réduction des salaires et les efforts qu'il entreprend périodiquement pour obtenir des augmentations de salaires sont inséparablement liés au système du salariat et sont provoqués par le fait même que le travail est assimilé aux marchandises et soumis par conséquent aux lois qui règlent le mouvement général des prix; après avoir montré, en outre, qu'une hausse générale des salaires entraînerait une baisse générale du taux du profit, mais qu'elle serait sans effet sur les prix moyens des marchandises ou sur leurs valeurs, maintenant il s'agit finalement de savoir jusqu'à quel point, au cours de la lutte continuelle entre le capital et le travail, celui-ci a chance de l'emporter.

Je pourrais répondre de façon générale et vous dire que le prix du marché du travail, de même que celui de toutes les autres marchandises, s'adaptera, à la longue, à sa valeur; que, par conséquent, en dépit de toute hausse et de toute baisse, et quoi que fasse l'ouvrier, il ne recevra finalement en moyenne que la valeur de son travail, qui se résout dans la valeur de sa force de travail, laquelle est déterminée, à son tour, par la valeur des moyens de subsistance nécessaires à sa conservation et à sa reproduction, et dont la valeur est finalement réglée par la quantité de travail qu'exige leur production.

Mais il y a quelques circonstances particulières qui distinguent la valeur de la force de travail, la valeur du travail, des valeurs de toutes les autres marchandises. La valeur de la force de travail est formée de deux éléments dont l'un est purement physique et l'autre historique ou social.

Sa limite ultime est déterminée par l'élément physique, c'est-à-dire que, pour subsister et se reproduire, pour prolonger son existence physique, il faut que la classe ouvrière reçoive les moyens de subsistance indispensables pour vivre et se multiplier.

La valeur de ces moyens de subsistance de nécessité absolue constitue par conséquent la limite ultime de la valeur du travail. D'autre part, la longueur de la journée de travail a également des limites extrêmes, quoique très extensibles.

Ses limites extrêmes sont données par la force physique de l'ouvrier. Si l'épuisement quotidien de sa force vitale dépasse un certain degré, celle-ci ne pourra pas fournir journellement une nouvelle activité. Néanmoins, comme nous l'avons dit, cette limite est très extensible.

Une succession rapide de générations débiles et à existence brève approvisionnera le marché du travail tout aussi bien qu'une série de générations fortes et à existence longue.

Parallèlement à cet élément purement physiologique, la valeur du travail est déterminée dans chaque pays par un standard de vie traditionnel. Celui-ci ne consiste pas seulement dans l'existence physique, mais dans la satisfaction de certains besoins naissant des conditions sociales dans lesquelles les hommes vivent et ont été élevés.

Le standard de vie anglais pourrait être réduit à celui de l'Irlande, le standard de vie d'un paysan allemand à celui d'un paysan de Livonie. L'importance du rôle que jouent à cet égard la tradition historique et les habitudes sociales, vous pourrez la voir dans l'ouvrage de M. Thornton sur la Surpopulation.

Il y montre que les salaires moyens dans diverses régions agricoles d'Angleterre, encore de nos jours, diffèrent plus ou moins suivant les circonstances plus ou moins favorables dans lesquelles ces régions sont sorties du servage.

Cet élément historique ou social qui entre dans la valeur du travail peut augmenter ou diminuer, disparaître complètement, de telle sorte que la limite physiologique subsiste seule.

Du temps de la guerre contre les Jacobins, entreprise, comme disait le vieux George Rose, budgétivore et sinécuriste impénitent, pour mettre les consolations de notre sainte religion à l'abri des incursions de ces mécréants de Français, les honnêtes fermiers anglais que nous traitions si tendrement dans un chapitre précédent abaissèrent les salaires des ouvriers agricoles même au-dessous du minimum purement physique et firent ajouter, moyennant les Lois des pauvres, ce qui était nécessaire à la conservation physique de la race.

C'était une manière glorieuse de transformer l'ouvrier salarié en esclave et le paysan libre et fier de Shakespeare en un indigent assisté.

Si vous comparez les salaires normaux, c'est-à-dire les valeurs du travail dans différents pays et à des époques historiques différentes dans le même pays, vous trouverez que la valeur du travail elle-même n'est pas une grandeur fixe, qu'elle est variable même si l'on suppose que les valeurs de toutes les autres marchandises restent constantes.

D'une comparaison analogue des taux du profit sur le marché il ressortirait que non seulement ceux-ci varient, mais que varient aussi leurs taux moyens.

Mais, en ce qui concerne les profits, il n'existe pas de loi qui déterminerait leur minimum. Nous ne pouvons pas dire quelle est la limite dernière de leur baisse. Et pourquoi ne pouvons-nous fixer cette limite? Parce que nous sommes bien capables de fixer les salaires minimums, mais non les salaires maximums.

Nous pouvons seulement dire que les limites de la journée de travail étant données, le maximum des profits correspond à la limite physiologique la plus basse des salaires et que, étant donné les salaires, le maximum des profits correspond à la prolongation de la journée de travail encore compatible avec les forces physiques de l'ouvrier. Le maximum du profit n'est donc limité que par le minimum physiologique de salaire et le maximum physiologique de la journée de travail.
Il est clair qu'entre ces deux limites du taux maximum du profit, il y a place pour une échelle immense de variations possibles.

Son degré n'est déterminé que par la lutte incessante entre le capital et le travail; le capitaliste essaye continuellement d'abaisser les salaires à leur minimum physiologique et de prolonger la journée de travail à son maximum physiologique, tandis que l'ouvrier exerce constamment une pression dans le sens opposé.

La chose se réduit à la question du rapport des forces des combattants.

2. En ce qui concerne la limitation de la journée de travail en Angleterre ainsi que dans tous les autres pays, elle n'a jamais été réglée autrement que par l'intervention législative. Sans la pression constante des ouvriers, agissant du dehors, jamais cette intervention ne se serait produite.

En tout cas, le résultat n'aurait pas été obtenu par des accords privés entre les ouvriers et les capitalistes. Cette nécessité même d'une action politique générale est la preuve que, dans la lutte purement économique, le capital est le plus fort.

Quant aux limites de la valeur du travail, leur fixation dépend toujours en fait de l'offre et de la demande. J'entends par là la demande de travail de la part des capitalistes et l'offre de travail faite par les ouvriers. Dans les pays coloniaux, la loi de l'offre et de la demande favorise l'ouvrier.

De là, le niveau relativement élevé des salaires aux Etats-Unis d'Amérique. Le capital a beau s'y évertuer; il ne peut empêcher que le marché du travail ne s'y vide constamment par la transformation continuelle des ouvriers salariés en paysans indépendants, se suffisant à eux-mêmes.

La situation d'ouvrier salarié n'est, pour une très grande partie des Américains, qu'un stade transitoire qu'ils sont sûrs de quitter au bout d'un temps plus ou moins rapproché.

Pour remédier à l'état de choses existant aux colonies, le paternel gouvernement anglais a adopté, pendant un certain temps, ce que l'on appelle la théorie de la colonisation moderne, qui consiste à élever artificiellement le prix de la terre aux colonies dans le but d'empêcher la transformation trop rapide du salarié en paysan indépendant.

Passons maintenant aux pays de vieille civilisation, où le capital domine entièrement le processus de la production. Prenons, par exemple, la hausse des salaires des ouvriers agricoles en Angleterre de 1849 à 1859. Quelle en fut la conséquence?

Les cultivateurs n'ont pas pu, comme le leur aurait conseillé notre ami Weston, élever la valeur du blé, pas même son prix sur le marché. Il leur fallut, au contraire, en accepter la baisse.

Mais pendant ces onze années, ils introduisirent des machines de toutes sortes, appliquèrent des méthodes scientifiques nouvelles, convertirent une partie des terres arables en pâturages, augmentèrent l'étendue des fermes et, du même coup, le volume de la production; par ces moyens et par d'autres encore, ayant diminué la demande du travail par l'augmentation de sa force productive, ils créèrent de nouveau un excédent relatif de la population des ouvriers agricoles.

Telle est la méthode générale suivant laquelle s'accomplissent plus ou moins rapidement, dans les vieux pays depuis longtemps habités, les réactions du capital contre les augmentations de salaires.

Ricardo fait remarquer très justement que la machine est en concurrence continuelle avec le travail, et que souvent elle ne peut être introduite que lorsque le prix du travail a atteint un certain niveau; mais l'emploi de la machine n'est qu'une des nombreuses méthodes pour accroître la force productive du travail.

Ce développement même qui crée une surabondance relative du travail ordinaire simplifie, d'autre part, le travail qualifié et ainsi le déprécie.

La même loi se fait sentir sous une autre forme. Avec le développement de la force productive du travail, l'accumulation du capital s'accélère beaucoup, même en dépit d'un taux de salaire relativement élevé.

On en pourrait conclure, comme Adam Smith, du vivant duquel l'industrie moderne n'était encore qu'à ses débuts, que l'accumulation accélérée du capital doit nécessairement faire pencher la balance en faveur de l'ouvrier en créant une demande croissante de travail.

Pour cette même raison, un grand nombre d'écrivains contemporains se sont étonnés que les salaires n'aient pas augmenté davantage, alors que le capital anglais s'est accru dans ces vingt dernières années beaucoup plus rapidement que la population anglaise.

Mais, parallèlement à l'accumulation continuelle du capital, il s'opère une modification croissante dans la composition du capital.

La portion du capital total, qui consiste en capital fixe, machines, matières premières, moyens de production de toutes les sortes possibles, s'accroît plus rapidement comparativement à l'autre portion du capital qui est employée en salaires, c'est-à-dire à l'achat du travail.

Cette loi fut établie sous une forme plus où moins exacte par Barton, Ricardo, Sismondi, le professeur Richard Jones, le professeur Ramsay, Cherbuliez et plusieurs autres.

Si le rapport entre ces deux éléments du capital était à l'origine 1 contre 1, il devient au cours du progrès de l'industrie 5 contre 1, etc. Si sur un capital total de 600, on en investit 300 en instruments, matières premières, etc., et 300 en salaires, il n'y aura qu'à doubler le capital total pour créer une demande de 600 ouvriers au lieu de 300. Mais si, sur un capital de 600, 500 sont investis en machines, matériaux, etc., et 100 seulement en salaires, il faudra porter le même capital de 600 à 3 600 pour créer une demande de 600 ouvriers au lieu de 300. Dans le développement de l'industrie, la demande de travail ne marche donc pas de pair avec l'accumulation du capital.

Elle s'accroîtra sans doute, mais dans un rapport constamment décroissant relativement à l'augmentation du capital.

Ces quelques indications suffiront à montrer que le développement même de l'industrie moderne doit nécessairement faire pencher toujours davantage la balance en faveur du capitaliste contre l'ouvrier et que, par conséquent, la tendance générale de la production capitaliste n'est pas d'élever le niveau moyen des salaires, mais de l'abaisser, c'est-à-dire de ramener, plus ou moins, la valeur du travail à sa limite la plus basse.

Mais, telle étant la tendance des choses dans ce régime, est-ce à dire que la classe ouvrière doive renoncer à sa résistance contre les atteintes du capital et abandonner ses efforts pour arracher dans les occasions qui se présentent tout ce qui peut apporter une amélioration temporaire à sa situation?

Si elle le faisait, elle se ravalerait à n'être plus qu'une masse informe, écrasée, d'êtres faméliques pour lesquels il n'y aurait plus de salut.

Je pense avoir montré que ses luttes pour des salaires normaux sont des incidents inséparables du système du salariat dans son ensemble, que, dans 99 cas sur 100, ses efforts pour relever les salaires ne sont que des tentatives pour maintenir la valeur donnée au travail, et que la nécessité d'en disputer le prix avec le capitaliste est en connexion avec la condition qui l'oblige à se vendre elle-même comme une marchandise.

Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d'entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure.

En même temps, et tout à fait en dehors de l'asservissement général qu'implique le régime du salariat, les ouvriers ne doivent pas s'exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne.

Ils ne doivent pas oublier qu'ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets, qu'ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction, qu'ils n'appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal. Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par les escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital ou les variations du marché.

Il faut qu'ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société.

Au lieu du mot d'ordre conservateur: "Un salaire équitable pour une journée de travail équitable", ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d'ordre révolutionnaire: "Abolition du salariat".

Après cet exposé très long et, je le crains, bien fatigant, mais qu'il me fallait faire pour traiter de façon satisfaisante mon sujet, je conclurai en proposant d'adopter la résolution suivante:

1. Une hausse générale du niveau des salaires entraînerait une baisse générale du taux des profits, mais ne toucherait pas en somme au prix des marchandises.

2. La tendance générale de la production capitaliste n'est pas d'élever le salaire normal moyen, mais de l'abaisser.

3. Les trade-unions agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital. Elles manquent en partie leur but dès qu'elles font un emploi peu judicieux de leur puissance.

Elles manquent entièrement leur but dès qu'elles se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d'un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition définitive du salariat.