Rosa Luxemburg

Social-démocratie et parlementarisme, paru dans le Sächsische Arbeiterzeitung, 5 et 6 décembre 1904

1904



Une  nouvelle fois, la session du Reichstag qui vient de s’ouvrir s’accompagne de phénomènes très révélateurs. D’un côté, on assiste aux attaques insolentes renouvelées contre le suffrage universel de la part de la presse réactionnaire – du genre de celle du Post ; de l’autre côté, à des signes évidents de « fatigue parlementaire » dans les milieux bourgeois mêmes. Il faut y ajouter la volonté de plus en plus marquée du gouvernement de repousser la date de convocation du Reichstag pour la fixer enfin tout juste avant les vacances de Noël.

Tout cela nous donne un éclatant tableau de la désagrégation rapide du parlement allemand le plus important et de son poids politique.

Désormais, il est clair que le Reichstag ne se réunit essentiellement que pour adopter le budget, pour voter un nouveau projet de loi sur l’armée, de nouveaux crédits destinés à la guerre coloniale en Afrique, ou encore pour approuver les inévitables nouvelles prétentions maritimes qui se dessinent en arrière-plan ainsi que les contrats commerciaux.

C’est la politique du fait accompli, résultant de l’action extra-parlementaire des forces politiques, devant laquelle on place le Reichstag, dès lors réduit à une machine à acquiescer, destinée à couvrir les frais de cette politique extra-parlementaire.

A quel point la bourgeoisie participe à ce rôle déplorable de son parlement en pleine conscience et dans une soumission complète, cela nous est montré de façon très typique par les propos d’un journal libéral de gauche berlinois : face aux nouvelles exigences exorbitantes de l’armée, représentant une augmentation des forces de 10 000 hommes et entraînant une hausse des dépenses de 74 millions durant la période quinquennale à venir, exigences qui mettent en quelque sorte le couteau sur la gorge du Reichstag et agitent l’habituelle menace d’une réintroduction du service militaire de trois ans en cas de désaveu, notre journal libéral de gauche se contente de soupirer et prédire : comme les députés ne pourront souhaiter le retour du service militaire de trois ans, il convient de considérer le projet de loi « comme d’ores et déjà adopté ».

Evidemment, cette héroïque prophétie du libéralisme s’avérera tout aussi juste que n’importe quel calcul dont la prémisse est la honteuse abdication de la majorité bourgeoise au Reichstag.

Nous sommes ainsi en présence, à travers le sort du Reichstag allemand, d’une pièce importante de l’histoire du parlementarisme bourgeois en tant que tel, et il est de l’intérêt de la classe ouvrière d’en saisir complètement les tendances et les rapports internes.

L’illusion selon laquelle le parlement est l’axe central de la vie sociale, la force motrice de l’histoire universelle, est une illusion que l’on peut non seulement expliquer historiquement, mais qui est nécessaire pour la bourgeoisie luttant pour le pouvoir, et encore plus pour celle qui le détient.

Le fruit naturel d’une telle conception est le fameux « crétinisme parlementaire » qui, devant le bavardage satisfait de quelques centaines de députés dans une chambre législative bourgeoise, est aveugle aux forces gigantesques de l’histoire mondiale qui agissent hors d’elle, dans le flux de l’évolution sociale, et qui font fi des faiseurs de loi parlementaires.

Or, c’est précisément ce jeu des forces élémentaires brutes de l’évolution sociale, auquel les classes bourgeoises participent elles-mêmes sans le savoir ni le vouloir, qui aboutit à réduire sans cesse, non seulement la signification imaginaire, mais toute signification du parlementarisme bourgeois.

Le sort du Reichstag allemand nous permet de vérifier, d’une manière plus frappante encore que dans n’importe quel autre pays, que ce sont les répercussions de l’évolution autant internationale que nationale qui produisent la désagrégation des parlements bourgeois.

D’un côté, l’activité politique internationale, qui a connu un puissant essor au cours des dix dernières années, entraîne toute la vie économique et sociale des pays capitalistes dans un tourbillon de répercussions internationales incalculables et incontrôlables, de conflits et de bouleversements, ballottant les parlements bourgeois, impuissants, comme des poutres sur une mer agitée.

D’un autre côté, le développement interne des classes et des partis de la société capitaliste prépare et porte à son comble la docilité et l’impuissance du parlement bourgeois devant le choc destructeur des flots agités de la politique mondiale, du militarisme et des intérêts maritimes et coloniaux.

Le parlementarisme, loin d’être un produit absolu du développement démocratique, du progrès de l’humanité et d’autres belles choses de ce genre, est au contraire une forme historique déterminée de la domination de classe de la bourgeoisie et – ceci n’est que le revers de cette domination – de sa lutte contre le féodalisme.

Le parlementarisme bourgeois n’est une forme vivante qu’aussi longtemps que dure le conflit entre la bourgeoisie et le féodalisme.

Dès lors que le feu vivifiant de cette lutte s’éteint, le parlementarisme perd son but historique du point de vue de la bourgeoisie.

Cependant, depuis un quart de siècle, l’évolution politique dans les pays capitalistes se caractérise en général par un compromis entre la bourgeoisie et le féodalisme.

L’effacement de la différence entre les whigs et les tories en Angleterre, entre les républicains et la noblesse monarcho-cléricale en France est le produit et l’expression de ce compromis.

En Allemagne, le compromis était au berceau même de l’émancipation de classe bourgeoise, il étouffait déjà son point de départ – la révolution de Mars – en donnant par avance au parlementarisme la forme infirme d’un avorton suspendu entre la vie et la mort. Le conflit constitutionnel en Prusse constituait les dernières flammes de la lutte de classe de la bourgeoisie allemande contre la monarchie féodale.

Depuis lors, le fondement même du parlementarisme (accord politique entre représentation parlementaire du peuple et pouvoir gouvernemental) ne joue pas de la même manière qu’en Angleterre, en France, en Italie ou aux Etats-Unis où les gouvernements son issus de la majorité parlementaire du moment, il joue au contraire d’une manière inverse, et qui correspond à la misère proprement germano-prussienne : en effet, tout parti bourgeois, une fois arrivé au pouvoir dans le Reichstag, devient ipso facto le parti du gouvernement, c’est-à-dire l’instrument de la réaction féodale. Il n’y a qu’à voir le sort des libéraux nationaux et du centre.

Le compromis féodalo-bourgeois ainsi parachevé a réduit le parlementarisme, du point de vue historique même, à un simple rudiment, à un organe privé de toute fonction ; du même coup, il a produit, avec une logique implacable, toutes les caractéristiques actuelles si frappantes de la désagrégation du parlement.

Tant que persiste le conflit de classes entre la bourgeoisie et la monarchie féodale, le combat ouvert entre les partis au sein du parlement est son expression naturelle.

Au contraire, une fois le compromis parachevé, les combats parlementaires des partis bourgeois sont sans objet.

Les conflits d’intérêts existant entre les différents groupes de la réaction féodale-bourgeoise dominante ne sont dès lors plus tranchés par des épreuves de force au parlement, mais sous la forme de marchandages dans les coulisses du parlement.

Les résidus des combats parlementaires ouverts de la bourgeoisie ne sont plus des conflits de classe et de partis, mais tout au plus, dans des pays retardataires comme l’Autriche, des querelles de nationalités, c’est-à-dire de cliques dont la forme parlementaire adéquate est la chamaillerie, le scandale.

Avec la fin des combats entre partis bourgeois disparaissent également leurs formes d’expression naturelles : les personnalités parlementaires marquantes, les grands orateurs et les grands discours. La joute oratoire comme moyen parlementaire n’a de toute façon un sens que pour un parti de combat cherchant un appui parmi le peuple.

Le discours au parlement est par essence toujours un discours « par la fenêtre ». Du point de vue des marchandages en coulisse qui sont le moyen normal de régler les conflits d’intérêts dans le cadre du compromis féodalo-bourgeois, les joutes oratoires sont dépourvues de sens, voire inopportunes.

Cela explique l’indignation des partis bourgeois, suscitée par les « bavardages » au Reichstag, le sentiment de paralysie et d’abattement devant leur propre inutilité qui pèse comme une chape de plomb sur les campagnes oratoires des partis bourgeois et qui transforme le Reichstag en un lieu de désert spirituel des plus mortels.

Enfin, le compromis féodalo-bourgeois finit par mettre en question la pierre de touche du parlementarisme – le suffrage universel lui-même. Aux yeux de la bourgeoisie, celui-ci avait un sens historique tant qu’il était une arme dans la lutte entre les deux grandes fractions des classes possédantes.

Il était indispensable pour la bourgeoisie afin de pouvoir mener « le peuple » en campagne contre le féodalisme. Il était indispensable pour le féodalisme afin de mobiliser la campagne contre la ville industrielle.

Mais le conflit déboucha sur un compromis et les deux éléments, la ville et la campagne, engendrèrent à la place de troupes libérales ou agraires, une troisième force – la social-démocratie ; dès lors le suffrage universel devint une aberration du point de vue des intérêts de domination féodalo-bourgeoise.

Le parlementarisme bourgeois acheva ainsi le cycle de son évolution historique et aboutit à sa propre négation. Cependant la social-démocratie, à la fois cause et conséquence de ce sort de la bourgeoisie, s’installa dans le pays et au parlement.

Alors que le parlementarisme perdait tout contenu pour la société capitaliste, il devint un des instruments les plus puissants et les plus indispensables de la lutte de classes pour la classe ouvrière montante.

Sauver le parlementarisme bourgeois devant la bourgeoisie et contre la bourgeoisie, voilà une des tâches politiques urgentes de la social-démocratie.

Formuler la tâche ainsi peut paraître une contradiction en soi. Cependant, comme dit Hegel, « la contradiction est le mouvement ». La tâche contradictoire de la social-démocratie face au parlementarisme bourgeois implique l’obligation de défendre et de soutenir cet édifice chancelant de la magnificence démocratique bourgeoise de telle sort que cela accélère la disparition définitive de l’ordre bourgeois dans son ensemble et hâte la prise du pouvoir par le prolétariat socialiste.

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L’idée suivant laquelle une analyse claire et nette de la désagrégation interne du parlementarisme et une critique sévère et ouverte de celui-ci est une entreprise politique dangereuse est assez répandue dans nos rangs.

Ne risquons-nous pas, en effet, de détruire les espérances du peuple en la valeur du parlementarisme et de faire ainsi le jeu de la réaction qui cherche justement à miner le suffrage universel ?

Quiconque est familier de la pensée de la social-démocratie comprend aisément le caractère erroné de tels arguments. Jamais nous ne pourrons servir les véritables intérêts de la social-démocratie, comme de la démocratie en général, en cachant aux larges masses les choses telles qu’elles sont.

Des ruses diplomatiques peuvent bien de temps en temps convenir aux minables coups parlementaires de quelques cliques bourgeoises.

Le grand mouvement de la social-démocratie, se situant à l’échelle de l’histoire universelle, ne connaît en revanche que la franchise et la sincérité absolues vis-à-vis des masses laborieuses.

Car n’est-ce pas précisément sa nature la plus profonde, sa vocation historique que d’élever le prolétariat à la claire conscience des mécanismes sociaux et politiques de l’évolution bourgeoise, dans son ensemble et dans le moindre de détail !

En particulier, en ce qui concerne le parlementarisme, la connaissance la plus précise des raisons de sa désagrégation, telles qu’elles résultent avec une logique de fer de l’évolution de la bourgeoisie, est absolument indispensable pour prévenir la classe ouvrière consciente contre cette illusion pernicieuse selon laquelle il est possible de ranimer artificiellement la démocratie et l’opposition bourgeoise au parlement en modérant et en émoussant la lutte de classe social-démocrate.

La tactique ministérielle actuelle de Jaurès illustre les conséquences extrêmes de cette méthode-là pour sauver le parlementarisme. Elle repose sur une double astuce. D’un côté, sur la propagation parmi les ouvriers d’espoirs et d’illusions démesurés quant aux conquêtes positives auxquelles ils pourront s’attendre de la part du parlement. Le parlement n’est pas seulement l’objet d’éloges en tant qu’instrument adéquat du progrès social, de la justice, de l’ascension de la classe ouvrière, de la paix mondiale et d’autres choses miraculeuses, bien plus, ce parlement est présenté comme l’instrument adéquat pour la réalisation des objectifs finaux mêmes du socialisme.

Ainsi, tous les espoirs, toutes les aspirations, toute l’attention de la classe ouvrière sont concentrés sur le parlement.

D’un autre côté, au parlement lui-même, l’attitude des socialistes ministériels est exclusivement commandée par la volonté d’amener au pouvoir et de maintenir en vie les tristes dépouilles de la démocratie bourgeoise. Pour ce faire, ils passent complètement sous silence l’antagonisme de classe existant entre la politique prolétarienne et la politique démocratique bourgeoise, ils renoncent à l’opposition socialiste.

Ainsi, les socialistes jauressiens finissent par se conduire dans leur tactique parlementaire comme de simples démocrates bourgeois. Ces démocrates déguisés ne se distinguent plus des vrais que par l’étiquette socialiste et par . . . une plus grande modération.

Il est impossible d’aller plus loin dans l’abnégation de soi-même, dans le sacrifice du socialisme sur l’autel du parlementarisme bourgeois. Et quels en sont les résultats ?

Les conséquences fatales de la tactique jauressienne sur le mouvement de classe du prolétariat français sont largement connues : l’éclatement des organisations ouvrières, la confusion des idées, la démoralisation des députés socialistes. Mais ce ne sont pas tant ces conséquences-là, mais les conséquences de cette tactique sur le parlementarisme qui nous intéressent ici.

Et celles-ci sont particulièrement désastreuses. Les démocrates bourgeois, les républicains, les « radicaux », loin de voir leur politique se renforcer et se rajeunir, ont perdu au contraire tout respect et toute peur devant le socialisme qui, auparavant, leur avait encore donné un semblant de tenue.

Cependant, un symptôme encore bien plus dangereux est apparu ces derniers jours : la déception croissante des travailleurs français eux-mêmes face au parlementarisme. Les illusions exagérées du prolétariat, nourries par la politique verbeuse de Jaurès, devaient inévitablement accuser un contre-coup violent et, effectivement, une bonne partie des travailleurs français ne veut plus rien savoir aujourd’hui, non seulement du jauressisme, mais du parlement et de la politique en général.

L’organe, d’habitude si intelligent et utile, des jeunes marxistes français, le Mouvement socialiste, vient de publier une surprenante série d’articles dans lesquels il prêche l’abandon du parlementarisme et le retour pur et simple au syndicalisme ; en outre, il considère que le « véritable esprit révolutionnaire » réside dans le seul combat économique des travailleurs.

En même temps, une autre feuille socialiste, publiée en province, le Travailleur de l’Yonne propose une idée encore plus originale : du fait que l’action parlementaire n’a apporté aucun fruit au prolétariat et n’a mené qu’à la corruption, il vaut mieux dorénavant renoncer complètement à l’élection de députés socialistes et n’envoyer au parlement que, par exemple, des radicaux bourgeois.

Voilà donc les beaux fruits de l’action de sauvetage du parlementarisme entreprise par Jaurès : un dégoût croissant dans le peuple face à toute action parlementaire, un refuge dans l’anarchisme ; bref, voilà en réalité le danger le plus important qui menace l’existence du parlement et de la république en général !

En Allemagne, de telles déviations de la pratique socialiste hors du terrain de la lutte de classe sont, il est vrai, impensables dans les conditions actuelles.

Mais les conséquences extrêmes auxquelles cette tactique a abouti sont un clair avertissement pour l’ensemble du mouvement ouvrier international : ce n’est pas cette voie-là que le prolétariat doit suivre pour assumer sa tâche de défense du parlementarisme bourgeois décadent.

La vraie voie passe, non pas par la dissimulation et l’abandon de la lutte de classe prolétarienne mais, au contraire, par son accentuation et son extension des plus résolues, et ceci autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parlement. Il en découle la nécessité aussi bien de renforcer l’action extra-parlementaire du prolétariat que d’organiser l’action parlementaire de nos députés.

Nous pensons, contrairement à la conception erronée de la tactique jauressienne, que les bases du parlementarisme sont d’autant mieux et plus sûrement assurées que notre tactique ne repose pas sur le seul parlement, mais s’appuie sur l’action directe des masses prolétariennes.

Les menaces qui pèsent sur le suffrage universel diminueront au fur et à mesure que nous ferons comprendre aux classes dominantes que la véritable force de la social-démocratie ne repose nullement sur l’influence de ses députés au Reichstag, mais qu’elle est au dehors, dans le peuple, « dans la rue », que la social-démocratie est capable de mobiliser directement le peuple pour défendre ses droits politiques et prête à le faire si nécessaire. Cela ne veut pas dire que la grève générale est une panacée qu’il suffit de tenir prête à tout moment pour le prémunir contre tous les aléas de la politique.

La grève générale politique est sans aucun doute une des manifestations les plus importantes de l’action de masse du prolétariat, en conséquence il est tout à fait impérieux que la classe ouvrière allemande commence à considérer, en dehors de toute suffisance et de tout dogmatisme, comme une des formes de lutte possibles en Allemagne ce moyen mis à l’épreuve jusqu’à nos jours dans les seuls pays latins.

Cela dit, ce qui compte avant tout, c’est l’organisation générale de notre agitation et de notre presse afin d’amener les masses laborieuses à compter de plus en plus sur leurs propres forces et sur leur action autonome et à ne plus considérer les luttes parlementaires comme l’axe central de la vie politique.

Notre tactique au Reichstag en dépend étroitement. Il est évident – et nous devons en être tout à fait conscient – que l’absence de toute démocratie et opposition bourgeoises dignes de ce nom au Reichstag allemand favorise largement les brillantes campagnes et le rôle éminent de nos députés.

La social-démocratie a beau jeu vis-à-vis de la majorité réactionnaire, elle seule représente en effet de manière conséquente et sûre les intérêts du peuple, la lutte pour son bien-être et le progrès dans tous les domaines de la vie publique.

Cependant, cette situation singulière impose à la fraction social-démocrate la tâche difficile d’apparaître non seulement comme un parti oppositionnel, mais en même temps comme la représentante d’une classe révolutionnaire. En d’autres termes, sa tâche n’est pas de se contenter de critiquer la politique des classes dominantes du seul point de vue des intérêts immédiats du peuple, c’est-à-dire de la société existante, mais de lui opposer, pied à pied, le projet d’une société socialiste qui dépassera la politique bourgeoise la plus avancée.

Si, à l’occasion de chaque débat au Reichstag, le peuple doit pouvoir se convaincre clairement que les conditions de vie dans l’Etat d’aujourd’hui seraient organisées d’une manière plus rationnelle, plus progressiste et plus avantageuse économiquement une fois les exigences et les projets de loi formulés par la social-démocratie mis en œuvre, il doit, en même temps, se convaincre, et cela encore plus souvent que jusqu’à présent, que pour construire le socialisme, c’est tout cet ordre qu’il faut renverser.

Dans le numéro le plus récent des Sozialistische Monatshefte, un des dirigeants des opportunistes italiens, Bissolati, avance, dans un article sur les élections italiennes, entre autres la chose suivante :

« A mon avis, c’est une preuve du retard de la vie politique lorsque le combat des différents partis tourne encore autour de leurs seules orientations générales et qu’il ne s’attaque pas aux questions particulières qui découlent de la réalité de la vie quotidienne et qui permettent de concrétiser ces orientations. »

A l’évidence, ce raisonnement, typique de l’opportunisme, met la vérité sens dessus dessous. Le développement et le renforcement de la social-démocratie exigent d’elle, justement, une attention particulière : il s’agit, notamment au parlement, de ne pas se noyer dans les diverses questions de la vie quotidienne et de ne pas faire uniquement de l’opposition politique, mais, au contraire, de faire connaître avec force son « orientation générale » : L’aspiration à la prise du pouvoir politique par le prolétariat dans le but de la révolution socialiste.

Plus la fraîche et généreuse agitation de la social-démocratie tranchera avec le ton sec et trivial, avec l’affairisme plat des partis bourgeois, plus elle défendra non seulement son programme minimum, mais ses projets socialistes, plus le Reichstag verra grandir son estimation aux yeux des larges masses. Et d’autant plus sûre sera également la garantie que la réaction ne pourra déposséder tranquillement les masses populaires de cette tribune et du suffrage universel.